Ce matin, dans l'indifférence impitoyable des murs de mon bunker, le téléphone a sonné. Mon éditeur m'informe de la parution de mon livre: "Seule dans la Nuit de l'Autre". L'auteur s'appelle Anne Valérie Münch. C'est moi: Anna Bunker. Il dit: Le problème est que les exemplaires d'auteur nous sont revenus avec la mention NPAI, n'habite pas à l'adresse indiquée. J'ai dit: -Normal, un bunker n'a qu'une adresse secrète. Dans le mien, seuls les rêves peuvent être postés. J'ai raccroché et je suis allée au square avec Tolstoï.
Au square, c'est déjà le printemps on dirait. Au square sur mon banc, j'ai entendu les oiseaux qui s'époumonaient à se faire péter le gosier. Je sais moi que les oiseaux célèbrent ainsi la parution secrète de mon livre. J'ai perdu la raison. Il n'y aura aucune promotion, aucun article de presse, rien. Les oiseaux chanteront la mort de mon livre, je lui creuserai une tombe et je le mettrai avec les autres, tous mes livres mort-nés, mes bébés de papier, rongés par la terre, les signes noirs abolis par l'humidité. Cette tombe est mon bunker. Je me réveille parfois terrifiée, vautrée dans les pages froissées des cadavres qui jonchent le sol glacé. Un jour ma bouche goûtera leur pourriture amère, j'étoufferai. Sur les décombres de mon bunker se poseront les oiseaux, qui chantent si fort la mort et l'arrivée du printemps.