Sélection du message

Der Schnee.

Du vent. De la neige. Putain. Rien d'humain. Tu écris quoi ? Depuis des mois, tu n'en sais rien. Tu as rencontré son visage. Son si...

dimanche 10 avril 2016

Je pourrais rire aux éclats, je pourrais éclater en sanglots.

Voilà ce qu'il y a. A chaque fois l'attente et pas l'attente. La chute dans une zone brumeuse et vide, la bouteille de whisky. Les glaçons qui cliquettent contre les dents, le doigt qui rêve en tournant sur la sphère du verre.
Après avoir posté le manuscrit, je tombe sans le savoir dans cette zone vide, la zone du rien juste avant le couperet. Et que m'importe la chair. Je titube dans mon quotidien. Mon corps va au lycée. Mon corps va au supermarché, remplit le frigo, balaie et passe la serpillière. Et c'est à peu près tout. Ah si. Elle prend soin de jeter les bouteilles dans le conteneur  à verre. Les unes après les autres pour faire disparaître les traces. Personne ne le fait à sa place et elle déteste voir tous ces cadavres encombrer la cuisine. Alors ça, elle le fait encore. Elle met les bouteilles dans un sachet en plastique et elle va à l'endroit, juste en face du camion à pizza, le gars qui la regarde faire, et qui doit se dire, ou peut-être pas, ça fait beaucoup de bouteilles et elle a le visage caché derrière ses lunettes de soleil. La lumière est si vibrante à Marseille.
Et donc, je reprends. C'est ce vide là, entre les manuscrits. Un peu comme après chaque création théâtrale. Cette sensation d'apesanteur. Le corps qui flotte, sans plus d'ancrage, l'eau dans la bouche. Sans saveur, sans épaisseur. En attendant l'atterrissage, elle boit sans vergogne. A croire que rien ne peut jamais tarir au fond d'elle. Jamais tarir ni la remplir, la traverser juste et lui faire faire à peu près n'importe quoi, c'est sans importance. Je ne pleure pas, je ne ris pas. Je pourrais rire aux éclats. Je pourrais éclater en sanglots. Je ne le fais pas. 
J'attends. J'attends les lettres dans ma boîte aux lettres foutue qu'il faut caler avec un petit bout de papier plié tout en sachant que si c'est une lettre c'est que c'est foutu justement puisqu'il n'y a de lettre que de refus, une lettre type avec rien, s'il vous plaît, pour le renvoi du manuscrit, il faut nous envoyer un chèque de six euros et trente centimes, veuillez agréer, Madame...etc. Je le sais pourtant. Je sais que si c'est oui, ils prennent la peine de vous téléphoner. Donc je sais que c'est non. Et pourtant j'ouvre la lettre. Je lis la crucifixion.
Je la vois qui me perce le coeur, me sèche les lèvres, me fait bourdonner la tête. Le whisky saigne. Je déchire la lettre tout de suite après. Furieusement je l'ensevelis bien profond dans la poubelle pour ne plus la voir. Que personne ne voit. Que personne ne sache. Mes proches surtout qui essaieraient une fois encore de me consoler. Nouvelle déconvenue. Déconfiture perpétuée. Lettre après lettre même si je suis publiée. Chaque jour je m'achemine un peu plus vers ma mort. Mon coeur est déjà faible. Et la mort me délivrerait enfin de ces attentes abominables. Je sais moi. C'est quand même pas de la tarte de pondre ainsi des univers, de se les arracher tout sanguinolents hors de ses tripes, de persévérer dans l'obscurité, titubant dans l'incertitude, de se cogner si fort contres parois de son bunker. Je sais. 
Je sais que ce n'est pas encore l'heure. Je sais pourquoi car ce que j'écris est insoutenable. L'insoutenable vérité. Elle est si éclatante, si terrifiante qu'ils reculent, touchés en pleine tronche. L'insoutenable tragédie. L'insoutenable corruption de l'enfant.