Sélection du message

Der Schnee.

Du vent. De la neige. Putain. Rien d'humain. Tu écris quoi ? Depuis des mois, tu n'en sais rien. Tu as rencontré son visage. Son si...

samedi 4 juillet 2020

DANSER NUE SOUS LES ETOILES, UNE FICTION ALSACIENNE

Le livre "Danser nue sous les étoiles", "Une fiction alsacienne" paraît officiellement le 22 Juillet 2020. Vous le trouverez en ligne, format broché ou version kindle, en librairie, à la FNAC etc...Une performance de lecture et une séance de dédicaces seront données à Marseille et en Alsace. Une lecture estivale donc, un fruit à savourer en toute quiétude dans le calme d'une forêt, le silence d'une nuit. Un fruit que je vous donne avec tout mon amour.

L'ANGE GARDIEN

Un jour, un homme confie à son ange gardien qu'il est un homme comblé, l'homme le plus heureux du monde. En effet, tous ses voeux sont exaucés. L'argent est un filon infini, il s'écoule sans interruption entre ses doigts. Ses possessions sont sans limite. Il possède désormais toutes les voitures, les plus grosses, les plus puissantes d'entre elles. Les plus belles femmes du monde. Les blondes, les brunes, les autres, toutes extrêmement belles, parfaites et très élégantes. Ce sont les plus belles, les plus extraordinaires créatures qui soient. Il possède également les plus belles villas, cossues, de vrais palaces, et tout ce qui va avec: les piscines, les yachts, le champagne, le caviar et le sexe à volonté. Il achète avec frénésie. Sa passion ne tarit pas. Ou alors, juste légèrement. Il se sent un peu fatigué.
Il demande: - Est-ce possible? Ce n'est pas un rêve? Je suis donc réellement au paradis? AU PARADIS????
Son ange gardien le fixe longuement avant d'éclater de rire. Il éclate de rire. C'est un rire qui se prolonge longtemps. - Ha! Ha! Ha!   ...Ha! Ha! Ha!  Il rit, il rit, il rit, à gorge déployée jusqu'à ce qu'il s'étrangle de rire.
- Au paradis??? Pas du tout, mon cher, vous êtes très exactement en enfer !
  EN ENFER OUI !

dimanche 17 mai 2020

LA FILLE DU BALCON

Les fenêtres autour de lui étaient brillamment éclairées. Assis dans son réduit (le renfoncement d'une agence immobilière qui tolérait sa présence - vraisemblablement parce que la dite agence était elle aussi en bonne voie de faillite), il ne levait pourtant pas la tête.
Courbé sur son giron, sirotant à peine sa bière donnée par quelque habitant compatissant, son corps informe se perdait dans le tas de guenilles dont il l'avait couvert: vieux  manteaux, vieilles couvertures. Il gisait-là, dans son galetas, indifférent à tout ce qui l'entourait. De temps en temps, quelqu'un venait fumer à son balcon, il le savait, car le mégot venait choir devant lui dans le caniveau. Même le soir, à l'heure rituelle où les citoyens applaudissaient bruyamment et venaient déchirer ses tympans de bruits divers, les tintements horribles des cuillères contre des poêles, les tambourins et autres percussions ne parvenaient pas à lui arracher la moindre expression :  ni grimace, ni sourire.
Depuis la mort de son chien, plus rien ne semblait pouvoir l'arracher à sa morne hébétude et lui faire lever les yeux ou s'intéresser à quoi que ce soit autour de lui. Il remerciait à peine les gens, nombreux à Marseille, qui venaient lui apporter de la nourriture ou du réconfort. Il était bougon, il grommelait quelque juron étouffé dans sa barbe et devenait même carrément agressif lorsque la compassion se faisait trop insistante comme si cela l'humiliait encore bien plus.
Depuis que son chien avait cané, et il l'avait bien gardé près de lui jusqu'à ce qu'il crève, ah ça oui! Pas question non plus de se le laisser enlever pour qu'ils aillent le piquer, les enculés! Il l'avait bien regardé mourir, il pouvait le dire, il l'avait accompagné jusqu'au bout son mâtin, tout pelé, tout épuisé qu'il était!
Il l'avait bien battu aussi et c'était peut-être de ça qu'il crevait lui, son maître, il crevait d'avoir tant rossé cte pauv'bête, de l'avoir obligé tellement à rester couché à ses pieds. Il pouvait le dire, à l'heure de sa mort, il le fixait encore de ses yeux pleins d'amour, ce fichu clébard, plein d'amour oui! 
Il se rappelle parfaitement: il a crevé en deux temps: tout d'abord son coeur a dû s'arrêter, ses yeux pleins d'amour sont devenus troubles et puis il a basculé sur le côté: le reste de sa vie s'est enfui dans les convulsions et comme ses pattes tricotaient encore dans le vide comme s'il courait, il avait compris qu'il rêvait de courir au paradis. Alors il avait bel et bien hurlé: Cours, Crevette, cours! Et puis les pattes d'accélérer leur cadence jusqu'à la rupture... Le cou  était retombé comme un chiffon.

Qu'il fasse soleil, qu'il neige ou qu'il vente, le clochard restait enseveli dans ses oripeaux, tout frissonnant de fièvre et d'une étrange peur qui le faisait parfois hurler la nuit.

Cette nuit- là, il pleuvait et il neigeait en même temps. Le vent sifflait de façon lugubre dans la rue et la pluie étincelait en lames horizontales dans  la lumière orange et trouble des réverbères. Il était là, à demi-couché, les membres tout pénétrés d'une pénible humidité car, malgré l'auvent de sa tanière, ses couvertures étaient mouillées et froides. Un air glacial lui soufflait au visage.

Il ne sentait rien pourtant. Son corps était devenu insensible. Hier encore, il avait refusé avec véhémence, l'aide de tous ces gens bienveillants. Des voitures s'arrêtaient, des vestes fluorescentes en descendaient,, des voix chaleureuses lui tendaient un gobelet de thé chaud et tentaient de le convaincre de se laisser emmener quelque part au sec. Il secouait violemment la tête, freinait des quatre fers jusqu'à ce qu'elles renoncent. 
- Non, mademoiselle, non ! Qu'est ce que tu veux, avec ta fichue maison dans la prairie?  Moi je suis indigne de ta maison! La rue, je l'aie dans ma peau! 
La rue l'avait prise dans son étau, étreint d'une façon bien à elle, âpre et sauvage. Une bénédiction de saleté de rue et de trottoir!
- Tu vois pas ? Connasse!

Le vent sifflait plus fort. Les rafales de pluie cinglées par les bourrasques blessaient ses joues comme autant de têtes d'épingles. Elles piquaient et cisaillaient  la peau pourtant racornie de son visage. Des larmes de sang inondaient ses yeux sans douleur aucune. Alors il leva brusquement la tête et fixa la torture aveuglante.

A cet instant précis, il vit apparaître la silhouette d'une femme à son balcon. Elle se dessinait dans la lumière dorée du salon derrière elle, comme sculptée par la lumière d'un soleil couchant. Il pouvait distinguer avec précision chaque arabesque du fer forgé de son balcon. Les découpes de son ombre présentaient des lignes si douces et si suaves qu'il se sentait comme happé dans un sortilège. Il était fasciné. Le corps de cette femme était le havre,  une maison enfin.  La délivrance.

Le corps de cette femme prête à le prendre dans ses bras, à le serrer jusqu'à mourir enfin.
(Sa mère avait-elle existé quelque part, l'avait-elle jadis prise dans ses bras, dorloté, bercé?)

Soudain, il aperçut au dessus du rougeoiement de sa cigarette deux yeux brillants qui le fixaient d'une étrange façon. 

Son corps se mit à trembler plus fort. Les douleurs se réveillèrent brusquement. Il avait froid, il était mouillé.

Il baissa les yeux avec terreur et il attendit ainsi, les yeux baissés. Il entendit le son lourd de la porte de son immeuble qui se refermait. Puis il écouta de toutes ses forces, le bruit de ses talons hauts qui claquaient sur le bitume et qui se rapprochaient.

Il restait-là, cloué sur place, les yeux fixant le sol, les deux paumes à présent écartées et posées à plat sur le sol. Comme pour un geste de fuite, une course éperdue. Mais il ne bougeait pas, osant à peine respirer, entièrement terrifié.

- Clac! Clac! Clac! Le diamètre ferré du talon résonnait dans la nuit.

Elle était tout près. Il ne la regardait pas. Du bout de son talon, elle appuyait de toutes ses forces sur les bouts de ses doigts. L'aiguille se fichait dans ses ongles qui noircirent aussitôt. La douleur insoutenable fit couler une sueur froide dans ses yeux hagards.

Aussitôt, une expression de bonheur intense apparut dans les traits du supplicié.

- Espèce de sale cafard! Baise ma cheville!

Il s'exécuta aussitôt, baisant le pied dans la gangue noire et brillante de son collant. Il balbutia à l'infini des mots d'amour, agrippant de toutes ses forces son bourreau qui tentait vainement d'échapper à cette étreinte baveuse et répugnante.

- Sale tortionnaire de chien! hurla - t-elle dans la nuit. 
-Oui, mon ange! Oui!  répétait-il dans son extase.



mardi 12 mai 2020

Cornichons pamplemousses et feu de joie

Cornichons pamplemousses whisky pain complet tomates citron Coca Cola  yaourts
Je pose la liste des courses sur la table basse devant elle. Marcher jusqu'au supermarché. Faire la queue. Arpenter seul les allées tristes. Veiller à ne coudoyer personne.
Je ne bouge pas.
Elle était assise dans un état plus pitoyable que jamais. 
Elle se tenait un peu courbée, les bras ballants et les mains dans son giron. De temps en temps, la main droite était occupée à prendre la cigarette, à l'amener jusqu'à sa bouche pour aspirer une taffe bien qu'elle laissait aussi un nombre considérable de cigarettes se consumer seules sur le bord du cendrier. Je pressentais qu'un jour elle oublierait tout simplement de tendre le bras et la combustion provoquerait inévitablement quelque accident. Elle était tellement ralentie qu'elle aurait regardé s'éveiller les flammes sans bouger, plus émerveillée qu'une petite fille devant son feu de joie.
-Mon amour, je dois sortir faire des courses...
J'avais peur de la laisser seule. Enfermé depuis huit semaines, j'avais passé en revue toute ma vie écoulée, examiné tout jusque dans les moindres détails. J'avais compris à quel point je n'avais pas donné assez d'amour.
Elle hoquetait et fixait le vide devant elle sans me voir et sans rien voir autour d'elle.
Les sourcils légèrement froncés, elle semblait guetter je ne sais quel événement intérieur. Elle semblait réfléchir avec intensité mais ne parvenait pas à dire quoi que ce soit de sensé. Je sais qu'elle aurait voulu que je la prenne dans mes bras. 
Alors elle se mit à chanter d'une horrible façon et de plus en plus fort. Elle chantonnait sans paroles, égrenant un "ta ta ta" de plus en plus claironnant et de plus en plus grave.  
- Mon amour, les voisins vont nous dénoncer.
Elle poursuivait à la cantonade, hurlant sa mélodie débile,de plus en plus désespérée et exaspérante.
(Je me rappelle qu'un jour j'avais pris ce visage dans mes mains et que je l'avais couvert de baisers. Comme les points qu'elle dessinait parfois sur un papier, tous ces points minuscules qui finissaient par couvrir la totalité de la surface.  La couvrant de baisers, je la voyais jadis rire et puiser de la force.)
Mais tout cela était impossible maintenant.
Les heures de joie ne reviennent pas et tout était devenu froid. 
Avec tout un tas de meurtres et de sang dans les écrans.
- Tais-toi, mon amour. Donne moi la liste des courses.
Elle chantait si fort que mes mots étaient tout à fait inaudibles. 
- CORNICHONS,PAMPLEMOUSSES,WHISKY! 
 Je hurle à mon tour dans la répétition insensée et impitoyable de ses "TA! TA! TA!"...
Puis j'ai bondi sur elle, sur elle mon amour,

et j'ai serré son cou très fort. La cigarette a roulé dans le sofa.
Quand le feu s'est déclaré, elle a agité les bras. Je l'ai lâchée.
Ensemble, nous avons contemplé la beauté du feu. 
Dans ses yeux je regarde danser les flammes. Je vois qu'elle est heureuse comme une petite fille.


dimanche 22 mars 2020

Bunkerisation (suite) : TAPIS VOLANT

Elle ouvre les yeux et pense qu'elle vient de se réveiller. C'était juste un mauvais rêve. Cela devait avoir lieu dans des espaces blancs et lointains, plus irréels que des songes. Cela c'était la mort. Tous ces gens qui décédaient seuls dans le désert. Elle écoute le silence, silence qu'on avait pas entendu depuis des lustres et c'est pour ça qu'il lui parut si inquiétant. Le quartier était calme, pas de circulation, pas de bruit, pas de cris. On est en plein jour pourtant.

Il y a du temps. Des plages infinies de temps qui sont devenues autre chose que des parenthèses, des essentiels de temps. Du temps à tuer. Tuer, le mot est mal choisi au vu des circonstances. On peut bien sûr faire quelque chose de ses mains. Toutes ces choses oubliées: nettoyer, coudre, tricoter, jardiner ( pas l'ombre d'un jardin aux alentours), dessiner, écrire. On ne sait plus, hélas. Il aurait fallu demander à grand-mère, morte l'année dernière. 

On peut baiser. Baiser vraiment? Oui, l'oisiveté est érotique, même les cochons sont friands d'une occupation, d'un divertissement, n'importe lequel. Mais, tremble mon amour. Tremble, ta bouche est peut être empoisonnée... Ne nous embrassons pas.  Ah,  mais les surfaces! Ne nous touchons pas mon amour. Si tu veux on se mate un porno et on se branle à 1, 50m de distance. 

Mais elle n'a envie de rien ce matin. Ils ne bougent pas. S'épient du regard, règlent la cadence afin de ne pas se rencontrer trop souvent dans l'appartement.

Vous pouvez faire de l'exercice sur votre tapis. C'est pourtant ce qu'ils disaient à la télé. Se contorsionner comme deux vers devant Youtube. Il faudrait faire plusieurs séances par jour. Economiser ses forces. Car. Après.  Marcher, courir, respirer seraient des activités dont on aurait mesuré le privilège insigne. 

Elle ne bouge pas. Elle n'allume plus la télé. On y a vu quelques hommes en costume marteler d'un ton ferme et paternaliste les règles de civisme, les interdits et les sanctions. Puis ils avaient détalé et on ne voyait plus que de vieux programmes.

Vous allez rester chez vous et dormir comme des enfants sages. Il avait préparé les derniers cachets.

Rendors-toi, mon amour. 

Elle ferme les yeux. Un autre rêve peut-être repousserait les murs et elle pourrait tendre à nouveau ses bras et toucher sa peau, le serrer contre elle, se serrer contre lui et voyager sur un tapis volant au milieu de paysages multicolores.

dimanche 5 janvier 2020

2020, l'année du Consentement.

Elle consentit à la chose. Les hommes s'adonnaient encore au plaisir. Peu à peu elle acquit de la grâce.
Au début, elle avait trouvé ça dégueulasse, absolument dégueulasse de le prendre dans sa bouche. 
D'être ainsi emplie, saturée, au bord de l'étouffement.
De l'évanouissement.
Mais elle affûta son savoir. Elle apprit des autres aussi. Elle apprit à varier les approches. A la gober. A la lécher d'un bout à l'autre. A la faire claquer en l'expulsant brutalement. A saliver son gland. A varier les rythmes. Cadencer les mouvements. La frapper doucement contre ses lèvres, tapoter, avaler goulûment tout du long puis la dévider comme un ressort. Elle sculptait la matière avec une minutie experte, sans penser à qui elle appartenait, c'était une chose en soi, un fétiche dur, éclatant, superbe. 
La bouche engourdie, elle savourait le traumatisme lorsqu'elle marchait, lorsqu'elle dînait ou portait un verre à ses lèvres, verre qu'elle aurait pu engloutir tout entier, en faire un tour, un numéro de prestidigitation.
En 2020, ça ne la dégoûtait presque plus mais elle pensait encore au cheval. Le plaisir avait déjà  déserté la plaine.
Le cheval galope loin des flammes. La terre est en feu. Le ciel est rouge qui brasille avec fureur dans les vapeurs tremblantes de la chaleur. Il galope longtemps. Les humains survivent sur les plages et ne pensent pas à lui, ni à tout ce qu'ils ont anéanti. Le plaisir est mort. Elle ouvre enfin les yeux pour la voir toute entière. Elle est en enfer.