Sélection du message

Der Schnee.

Du vent. De la neige. Putain. Rien d'humain. Tu écris quoi ? Depuis des mois, tu n'en sais rien. Tu as rencontré son visage. Son si...

samedi 16 juin 2012

La mouche

J'ai repensé ce matin à mes premiers écrits dans le jardin de Sparsbach ou dans la cuisine de Sparsbach, ce bled perdu au seuil des Vosges du Nord, ce village alsacien qui n'a plus d'école, plus d'épicerie, juste encore un bistrot rebaptisé auberge, bistrot où j'ai essuyé tant d'affronts racistes et sexistes. Dans ce jardin, j'étais alors une jeune fille vaniteuse, écervelée. Une jeune fille rebelle aussi, avide surtout de sport et de discothèque. Courir seins nus dans la forêt, nager, danser: voilà tout ce que j'aimais.
J'ai réalisé ce matin que mon parcours de damnée, celui dont inconsciemment je cultivais peut-être l'affabulation,- affabulation qui rétrospectivement a sans doute été une véritable stratégie de survie,que ce parcours, qui m'avait scrupuleusement détournée de l'agrégation, détournée de la carrière universitaire ou politique- j'entends encore mon père dire un jour dans ce même jardin qu'il aurait fallu m'enfermer, me punir d'avoir saccagé mes années de Normale Sup, de n'avoir pas tenté l'ENA après, (il était grave et un peu rude en disant cela, j'avais reconnu , une fois encore, l'exigence et le caractère bourru de son amour...) - que ce parcours avait obéi au commandement secret de celui de l'écrivain. Cet écrivain ne se savait pas encore mais la jeune fille détruisit tout ce qui aurait pu l'amener ailleurs, dans les grâces d'une carrière honorable et asservie. Et que je n'avais refusé, détruit, vécu- et vécu avec tant d'intensité et de douleur- que,contre toute impératif moralisateur, pour l'écrire, l'écrire ce chemin à l'envers, ce chemin de travers qui me précipiterait dans toutes les turpitudes et difficultés de l'existence. Et que donc, donc cette fuite sauvage hors des cours - j'ai séché les cours avec rage depuis mon entrée au lycée Fustel de Coulanges à Strasbourg, ce qui me valut d'ailleurs d'en être expulsée à la fin de ma première, obligée de m'exiler dans un internat humide et noir de la ville de Barr - ce saccage provocateur devant cet inspecteur sourcilleux à la fin de mes années de Normale (je devrais dire de non-Normale puisque j'ai suivi très peu de cours et flambé l'argent perçu dans tous les bars, cinémas et boutiques du quartier latin), lorsque toute de cuir vêtue j'ai tourné les talons en lui disant d'aller se faire...et qu'il était resté là, assis dans son costume devant son papier où il avait scrupuleusement noté tous ses griefs à l'égard de ma séance- une lecture pourtant de Robert Walser, et qu'il avait finalement éructé avec gravité: "Vous vous condamnez vous-même! Mademoiselle!"...- que toute cette révolte faisait partie de ma destinée d'écrivain. Le lendemain, j'étais radiée et je fuyais dans le sud de la France acheter une pizzeria avec mon voyou kabyle, exil souverain et vengeur à l'encontre évidemment de mes parents qui désapprouvaient mon choix (et qui avaient sans doute raison...), dans la foulée j'enfantais trois fois, je déambulais dans les bourrasques, forniquais dans les caniveaux et tout mon dévouement, toutes mes colères, toutes mes débauches étaient, je l'ai brusquement compris ce matin, tout était justifié d'avance par l'oeuvre.
L'oeuvre qui grandit comme la vie, pas toujours régulièrement ni harmonieusement, mais qui croît toutefois, obscure et lancinante, joyeuse et douloureuse.
J'ai compris aussi que la vie, qu'on dit parfois si courte, est longue en même temps, que ces deux vérités ne s'excluent nullement: l'une est l'autre comme la vie et la mort, toutes ces contradictions que j'avais vu s'abolir lorsque j'errais aux alentours de l'hôpital St Pierre à Strasbourg où se mourait mon frère. J'avais alors pressenti, dans ce vent à la fois doux et vif, humide de l'automne alsacien, que chaque seconde est l'éternité. Que la mouche qui vit trois jours vit cette vie avec autant d'intensité et de conviction que toi, et que, pour elle aussi, cette vie si brève, doit paraître courte et longue à la fois, ponctuée des mêmes épreuves et des mêmes émotions. C'est dans cet hôpital que j'avais rencontré un prêtre, un pasteur je crois, et que, dans la déraison de ma douleur j'avais cru comprendre qu'il me confiait une mission. Celle d'écrire. 
Il est vrai que j'écrivais déjà mais que je n'étais pas écrivain. Peu après, je me suis attelée à la tâche, j'ai vomi toutes mes tripes,j'ai cherché le souffle d'un récit qui aille au delà de quelques pages, j'ai écrit Diagonale de l'Exil. J'en ai écrit trois autres. J'écris dans l'indifférence générale, cloîtrée dans mon bunker. Mais la surdité et l'hostilité qui environnent mon oeuvre, une fois encore, sont les signes précurseurs de l'Oeuvre. La malédiction se poursuit donc sans encombres. Rester dans ce bunker est une torture parfois mais cela m'aide à  supporter le silence. La mission doit être accomplie.

dimanche 3 juin 2012

Le Bain

C'est à Marseille, dans la Cour des humbles, que j'ai fini par échouer. J'ai fait couler un bain. Dehors, titubent les humbles, les copains, défoncés, sous  camisole, ensanglantés. Avant d'entrer dans ton bain, tu mets du rouge à lèvres, parce que le rouge c'est le sexe, et le sexe la mort. Je me plonge jusqu'aux épaules dans une eau brûlante. Dans la vapeur, je regarde longuement la froideur carrelée puis je ferme les yeux. J'écoute le silence d'une goutte isolée contre la porcelaine. Soudain, le sentiment de ta solitude t'étreint. Une fois de plus, je pense à la liste des choses à faire.Rappeler la banque. La convaincre que j'ai de quoi racheter l'appartement saisi, rappeler le notaire pour lui dire d'appeler ma banquière, la convaincre à son tour, pour qu'elle arrête ses silences dans la conversation et ses remarques désobligeantes: vous êtes sûre que- peut-être que- oui, mais- mais, toujours ces MAIS. Tu sais pourtant que tu n'en feras rien, tous les téléphones seront cois. J'aime prendre mon bain brûlant, fenêtres ouvertes, sentir dans la vapeur cet air frais, né de la rencontre de deux airs chauds. J'ai posé le cendrier, le verre de whisky sur le rebord. Tu bois une gorgée. Frissons et convulsions résultent de cette ingurgitation. Tu sais bien que depuis que tu es entrée dans ce bunker, tu es victime de procrastination. Il te faut aussi payer les charges, payer l'électricité, déjà la troisième relance, bientôt le coup de sonnette de l'agent ERDF, tu n'ouvriras pas la porte certes, mais. Il y a aussi les P.V.,ceux d'un nouveau genre, des PV sans papillon sur la vitre de ta voiture.Verbalisée par des flics invisibles, quelque part à l'ombre d'une vitre teintée, ils pianotent et toc, le courrier arrive tout seul dans ta boîte aux lettres. Je bois une autre gorgée. J'attends la lenteur de mon sang, de la sentir se diffuser dans mon corps je sais que je ne m'exécuterai pas, que je ne ferai rien du tout.Tu ne feras pas ce que tu dois faire. Tu ne feras pas ce qu'on attend de toi. Ce que toi même tu devrais attendre pour toi même, tu en es tout simplement incapable. Au lieu de cela, tu te pinces le nez, tu plonges dans la baignoire. Tu voudrais disparaître dans ses profondeurs mais ce n'est qu'une baignoire.Tu sors de ton bain. Tu arpentes ton bunker et tes pieds mouillés laissent des traces. Tu te retournes. Il doit exister une pilule magique. Mais la trace a  disparu, tu as disparu.