Sélection du message

Der Schnee.

Du vent. De la neige. Putain. Rien d'humain. Tu écris quoi ? Depuis des mois, tu n'en sais rien. Tu as rencontré son visage. Son si...

dimanche 20 mars 2022

Ce qui fait mal en toi

 Elle était ça. Cette chose qu'il avait offert en pâture à ses potes. Il l'avait trahie sans vergogne. Comme le petit mac qu'il était. 

Ils murmuraient des phrases qu'elle ne comprenait pas tandis qu'ils s'affairaient autour de son corps.

 Elle n'était pas là. Il lui semblait que son corps s'était échappé, qu'il avait disparu comme lorsqu'elle accrochait ses robes dans la chambre pour rester nue à les regarder. La silhouette de chaque robe donnait à voir la forme évanouie de son corps. Elle regardait  chaque modèle pendouiller sur son cintre et l'abandonnait aussitôt: la robe noire, celle à strass, celle à motifs d'oiseaux, des oiseaux bleus sur fond blanc, la robe à pois, la rouge, la chamarrée et tant d'autres vestiges d'un soir, d'un espoir. Elle était superstitieuse. 

Ce jour là, ou plutôt cette nuit là, elle en portait une verte, en lin, un vert olive tirant sur le jaune, une robe fermée à la taille par un seul bouton, un bouton unique qui permettait de la mettre nue d'un seul geste.

Ils murmuraient et cela faisait comme un conciliabule autour de son corps qui semblait être l'objet de toutes les transactions. Lui se tenait plus loin, le visage fermé, il fumait.

Son corps est lisse et bronzé, le fuselage de ses cuisses étincelle dans la nuit.  La ligne jusqu'à la ligature de la cheville. Elle est si belle, indestructible. Ils sont gênés quand même par tant de beauté. Ils toussotent, parlent plus fort et plaisantent, rigolent, plus fort aussi.

Juste avant. Dans la conscience de son corps disparu, elle a écouté à l'intérieur d'elle même la félicité, haute et pure comme un ciel d'été. Elle ne voulait pas oublier qu'elle était heureuse, qu'elle avait été heureuse. Jamais elle n'avait été aussi heureuse.

Alors. Juste avant. Le corps était déjà couché nu, la robe déboutonnée. Elle a fait un geste de la main et elle s'est relevée, elle ne s'est pas enfuie non, elle s'est juste éloignée des garçons et  elle a marché sur la grève, elle a  marché vers la mer.

Il y a ce silence encore, ce profond silence devant la mer tout à coup, ce silence qui lui semble étrange, surnaturel devant la mer qui est calme, plate comme un lac, profondément endormi. 

Elle comprend que ce silence n'est pas naturel.

Elle a quitté les paroles échangées, elle a quitté les mains affairées, elle s'est éloignée et elle a marché vers la mer.

 Lentement, ses pieds s'enfoncent dans le sable puis resurgissent un peu plus  lourds, puis elle sent le froid glacé du sable mouillé sous ses pieds qui ne s'enfoncent plus, la nuit est pleine et comme refermée sur elle, elle est au creux de la main de la nuit. 

Elle me tient dans le creux de sa main. La mer. La nuit. 

Dans la fraîcheur de la nuit, le sable est froid, la mer, elle, est tiède. Elle a été chauffée toute la journée par un soleil caniculaire.  

L'eau tiède se tait.  Le silence. Elle voulait juste marcher dans la mer et mourir. Elle voulait juste échapper aux hommes, éloigner son corps de leurs mains, elle les trouvait gentils cependant mais elle avait juste besoin de s'éloigner, d'entrer dans la mer et de marcher.

L'étoffe de la robe trempée déploie son aile dans un doux froissement. La robe se déplie soyeusement, elle est seule, blessée, heureuse et elle a de l'eau jusqu'à la taille. Elle se retourne et voit les hommes là-bas qui lui font un signe de la main. 

Dans l'eau, elle s'était dit je veux mourir maintenant mais à la place elle a plongé et elle a nagé. La mer l'accueillait dans ses bras endormis, la lune dessinait un halo autour de son corps qui nageait de plus en plus vigoureusement avec sa relique qui flottait autour d'elle. Elle respirait, palpitante et neuve, profondément.

Quand elle s'était relevée de la mer, c'est comme si elle était née de l'eau. Elle retourna vers les hommes qui lui avaient fait signe de la main. Les adolescents bruyants ont cessé de rire lorsqu'ils ont vu revenir vers eux cette créature mouillée, cette catin. Collée contre ses cuisses, la robe épousait sa ligne et ses cheveux brillaient. Ils l'accueillirent avec de grands cris de joie, se précipitèrent vers elle avec les serviettes pour la sécher, la frottant vigoureusement pour la réchauffer, tout en riant. 

Elle se recoucha au milieu d'eux comme au milieu d'une nuée d'esclaves ou d'admirateurs et les yeux dans les étoiles, elle donna son corps, à immoler, à dépecer, à tout ce qu'ils désiraient en faire. Elle resta dans la pensée de ce bonheur, pour ne pas l'oublier. 

Pourtant elle oubliait. Elle oubliait tout.

Ses yeux quittèrent les étoiles et le cherchaient, lui, toujours lui, à l'autre bord du triangle qui fumait.

Tandis que les corps des hommes pesaient sur son corps absent, elle vit la tristesse de cet homme qui fumait. Les hommes étaient si maladroits, pauvres garçons qu'il faut beaucoup plaindre et à qui il faut beaucoup pardonner. 

Tout à coup revint l'image des sales pattes sur sa chair d'enfant et toute cette enfance qu'elle avait fermé à clef, verrouillé car tout, absolument tout avait été détruit. 

Il avait apporté des fleurs, trompeuses: - Bébé, nous ne serons jamais séparés, nous ne pouvons être séparés.

Il l'avait abandonnée juste après, l'abandonnant comme on donne naissance à quelqu'un après l'avoir partagée avec tous ses amis. Il l'avait jetée à nouveau sur la route, dans le monde avec cette félicité, haute et pure comme un ciel d'été.

Des fleurs, ma chérie, des fleurs pour ce qui fait mal en toi.