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Der Schnee.

Du vent. De la neige. Putain. Rien d'humain. Tu écris quoi ? Depuis des mois, tu n'en sais rien. Tu as rencontré son visage. Son si...

dimanche 11 décembre 2016

BATSA ITSANDRA: le rêve de Monsieur Ali.

Monsieur Ali est venu plusieurs fois nettoyer les vitres des porte-fenêtre de mon appartement. Une vingtaine de porte- fenêtre très hautes dont je ne venais jamais à bout. Monsieur Ali s'acquitte de cette tâche en deux heures, travaillant sans discontinuer.
Monsieur Ali m'avait été présenté par Christiane, l'esthéticienne de mon quartier dont il briquait la vitrine de son institut et qui est morte depuis. Il lui avait parlé de son projet de livre.
Ali est venu. Son travail fini, il a accepté de boire un café.
Il m'a parlé de son village des Comores: Batsa Itsandra. Il a dessiné la carte de son village, une très belle carte inédite puisqu'il n'existe pas encore de carte officielle aussi complète de son village. Ali a dit: je porte un rêve. Ecrire un livre sur mon village.

Monsieur Ali ne savait pas quelle forme donner à son livre, j'ai accepté de l'aider.
Ali est arrivé  les mains pleines de feuillets A4 pliés en deux, remplis de part en part d'une petite écriture illisible. Une masse d'écrits tellement touffue et tellement répétitive que je n'ai pas vu tout de suite la détresse d'un homme qui n'arrivait pas à construire son histoire. Un homme noyé dans la masse des données qu'il avait collecté sur son village et qui souhaitait ardemment transmettre aux enfants des Comores nés en France les traces et la richesse de ce village.

Des liasses de feuilles remplies à ras bord de sa petite écriture et tous ces noms dans lesquels je me noie à mon tour. Ali parle. Ali raconte. Je suis prise de vertige.
J'ai vu à quel point Ali s'empêchait de devenir fou. Ou peut-être qu'il est déjà fou, les mains pleines de ses feuilles gribouillées, Et là-dedans, il tourne en rond. Un forcené qui veut parler.
Le regard d'Ali parfois pourrait tourner sanguinaire aussi.

Ali parle, son phrasé est doux. De temps en temps,il lève les yeux. Il rêve. Parfois il éclate de rire. Quand il évoque le cri de la corne de buffle qui prévient les habitants dispersés dans les champs de l'arrivée d'un hôte qu'il faut accueillir. Il parle de la mangrove et de l'arbre à fleurs Ylang-Ylang.
Je suis saisie par la beauté de son chant. La grâce de sa prière. Toutes ses richesses. Ecoute mon enfant.
Je voudrais ne jamais finir son livre pour pouvoir l'écouter encore. Je transcris en changeant le moins de choses possible car sa façon de dire est si belle.
Le livre s'écrit. Ali pousse parfois de longs soupirs. Il se libère.
Ce sera un très beau livre.  On pourra mourir après l'avoir écrit. Monsieur Ali et moi.