Sélection du message

Der Schnee.

Du vent. De la neige. Putain. Rien d'humain. Tu écris quoi ? Depuis des mois, tu n'en sais rien. Tu as rencontré son visage. Son si...

vendredi 9 mars 2012

Le bunker de ma bouche

Le macadam est gris poisseux. C'est arrivé un matin. Jusque là ma respiration expulsait les mots, parfois avec difficulté mais quand même, dans l'ensemble, ça allait, j'y arrivais. Et puis ce matin là, je ne sais plus exactement quand, mais le macadam était gris poisseux, des crottes et des mégots jonchaient le sol, ma respiration s'est coupée, les mots ont gelé dans ma bouche, puis aussitôt ils se sont embrasés mais cette braise dans ma bouche est restée stationnée là. La cavité intérieure est incendiée, la braise est sur ma langue mais rien ne sort, la lave ne s'écoule pas hors de ma bouche. J'étais devant un agent de police qui me demandait avec insistance ce que je faisais là sur le trottoir.
Je n'ai pas répondu. Ils étaient deux. Il y avait une femme avec un chignon blond, elle s'est plantée les jambes écartées devant moi.. Les klaxons résonnaient dans ma tête, dans ma bouche la braise tisonnait avec fureur.Elle a croisé les bras. Elle a plongé ses yeux froids dans les miens et elle a dit à son collègue: Laisses, tu vois pas qu'elle est dingue. Son visage s'est approché, son oreille était écarlate près de sa joue, elle a expulsé les mots en soufflant sur mon visage, articulant avec force mimiques comme quand on parle à un sourd: Vous avez des problèmes mentaux Madame? La crasse du bitume me monte au ventre, la brûlure jette des couteaux sur les parois, je me tais. C'est fini. C'est facile.
Plus rien depuis n'a franchi le seuil de mon palais. Et je suis au seuil intact de ma vie.
ça a continué avec le prochain client. Finalement c'était plus simple pour demander l'argent.La braguette est ouverte,il a les yeux exorbités, je lève la main, tends les doigts: trois c'est trente euros quatre je n'aime pas, cinq c'est cinquante euros et je n'ai pas à dire Monsieur ni s'il vous plaît. Muette, j'ai vite compris que cela les autorisait à pérorer les chasseurs et que la sourde et muette était le trou de leurs sales confidences. Ils ne tarissaient plus, se racontaient sans fin et j'avais envie de leur trancher la gorge. Alors j'astiquais plus fort, je pompais plus vite, j'oeuvrais en silence et consciencieusement jusqu'à ce que ouf! ils lâchent enfin le foutre et ferment leur gueule, les mots cèdent la place à de vils et piètres gémissements, c'est fini. Putain tu la fermes! c'est ce que je pensais alors et j'étais bien contente de ne pas le dire mais de juste le penser. Penser, bosser, tendre la main sont mes seules activités dorénavant et encaisser le pognon. Même pour le reste de tes activités sociales, ça va très bien vu que ça se limite à entrer dans un magasin quelconque, à désigner du doigt ce que tu veux, à payer. Dans les supermarchés, c'est encore plus pratique! Tu poses sur le tapis roulant. J'arpente mon trottoir, je grimpe dans les véhicules, je regagne mon bunker. Mon chien m'attend, il est silencieux comme moi. Nous vivons tous les deux dans un complet silence, aux aguets. A la moindre alerte, nous nous dressons sur nos séants, c'est sûr nous pressentons avant tout le monde les tempêtes solaires et la fin du monde. Et dans ma bouche, la braise tisonne doucement comme un fauve à l'affût.

dimanche 4 mars 2012

Le miroir de mon bunker.

 Ce matin, l'un des miroirs qui bringuebalent dans mes appartements m'a ouvert les yeux. Son signe fut un frémissement limpide: une porte s'est fermée et j'ai vu. Le visage ruisselant, me relevant sous le jet d'eau , j'ai jeté un oeil, j'ai vu pendre les pelures, les écorchures, j'ai vu les pores rouges, violacés d'une peau morte, craquelée. J'ai vu ce visage sans visage et j'ai vu qu'il était vieux. Je comprends maintenant ce qu'on veut dire quand on prétend qu'on peut prendre des années en une fraction de seconde, qu'on blanchit en une nuit sous l'ardeur d'on ne sait quelle douleur. Je comprends que je ne suis ni plus ni moins vieille, mais que je me vois pour la première fois.
Longtemps, je ne me suis pas regardée dans le miroir. Je ne prêtais pas attention à ce miroir. Je regardais à travers ce miroir. Mon visage était une pierre. Mais ce matin, dans le miroir, une main s'est emparée de ma pierre et l'a jetée de toutes ses forces contre le miroir. Le miroir s'est brisé, une femme avec une enfant est entrée dans le square. La petite fille est à peine âgée de trois ans. Elles avancent lentement. La femme traverse le miroir pour amener son enfant au jardin d'enfants. C'est dimanche, il n'y a pas d'autres enfants. Elle parle doucement à l'enfant qu'elle tient d'une main; de l'autre, elle pousse une poussette vide. La femme s'assoit sur un banc et regarde son enfant qui babille seule sur le toboggan. Le soleil est froid. La mère a les cheveux vaguement attachés, son visage est pâle, sans fard.  Elle n'a pas pris le temps de se parer, elle n'a pas le temps de se regarder dans un miroir. La femme est dans une grande solitude, la solitude d'être seule avec son enfant seule. Elle avance seule dans la buée du miroir, elle flotte sur la surface lisse, brillante et froide du miroir. Elle est seule, esseulée dans la tâche colossale d'accompagner son enfant seule au square. Elle l'encourage de sa voix. La femme a un deuxième enfant. Puis un troisième. Elle est toujours aussi seule à frissonner sur le banc, à écouter les rires de ses enfants, à se refléter dans le miroir de mon bunker. Ses enfants rient, ils bâtissent autour d'elle les murs du bunker où le corps de la mère va s'ensevelir. Au fil des jours, son visage se pétrifie. Son visage est une pierre. Personne ne peut l'approcher.