Sélection du message

Der Schnee.

Du vent. De la neige. Putain. Rien d'humain. Tu écris quoi ? Depuis des mois, tu n'en sais rien. Tu as rencontré son visage. Son si...

dimanche 2 décembre 2012

Le bunker des mots

Les mots tremblent à la cime,apostilles scarifiées. Je suis un cheval qui tourne les yeux bandés, ignorante de la besogne que je broie. Les mots me terrorisent, les feuilles s'agitent, un chuchotement et c'est l'effroi, une menace, une bourrasque et les mots chutent au rythme de mon corps qui suffoque, se contracte, danse, et j'apprivoise le flux, les feuilles bruissent et claquent, chutent en trilles cascades éjaculations féroces, il y a toujours trop de mots, imparfaits, vides, qui cavalent , après quoi, cavalent tel ce cheval fourbu,aveugle, les crins tendus, hirsutes de sueur, tous ces mots assassins, ces mots cinglés qui se disloquent dans mes cahiers et à la fin les mots vous manquent toujours, je n'arrive pas à les attraper, je trébuche et je me casse la figure. Corrosion, déchéance, explosion de graffitis, griffonnés dans les marges, obscures enluminures de foutre et de fiel, comment croire à l'immortalité de ces signes noirs emmurés dans mon bunker si nul ne vient les délivrer, frapper à coups de masse les murs et laisser ces pigeons voyageurs s'envoler et traverser les océans. L'amour a porté les premiers coups, cet amour si pauvre de mots, les mots le tuent, les mots tuent l'amour comme ils tuent tout le reste. Les mots sont des tueurs, les trophées jonchent le sol, les mots ont tranché, taillé dans les entrailles et fait rouler les têtes sur le sol en béton où ils gisent, immobiles,les yeux ouverts, regardant fixement le crocodile.Chaque mot exécute l'être qu'il capture, coucher sur le papier est même la plus sûre façon de tuer.

vendredi 9 novembre 2012

Elle aime son bourreau

Dans mon bunker, il y a encore une fenêtre.
Elle passe le plus clair de son temps immobile sur le canapé. Elle ne regarde plus le ciel, ne fait pas le ménage, ne répond pas au téléphone, ne se lève pas, ne s'habille pas. Elle se noie dans la transe atroce de son cerveau qui la cloue ainsi prostrée pendant des jours. Son état est sans nuances. Entier, totalement coupé. Elle sourit à peine. Ses circuits un à un se sont déconnectés, noyés dans la crue, Dans sa torpeur, des images traversent le vide: des enfants courent et crient, ce bruit la dérange, il y a aussi des robes, des dîners au restaurant, le souvenir de la mer, ses vagues déferlantes et maladives.
Laura R. a un amant. C'est son amour, son amour, son grand amour.Il a une femme et des filles mais il n'a jamais présenté sa famille à Laura. R. Il arrive et la fait mettre à quatre pattes, contemple son cul et lui prend "le petit trou"comme il aime à dire. Ce qui l'excite vachement c'est la solitude de cette infirme sur son son canapé, ce qui l'excite c'est la vulnérabilité de sa petite Laure, séquestrée dans son propre bunker où il vient la saillir cette petite salope d'infirme et ses trous hypersensibles et ce qui l'excite plus encore c'est qu'elle ne parle pas. C'est une amante mutique. Une pute silencieuse. Une demeurée mentale qu'on peut baiser impunément. Elle dit j'ai la tête vide quand il me sodomise et c'est cette tête vide ce corps vide qu'il veut entendre résonner dans le vide de son bunker, il la prend, la défonce, la ligote et l'encule jusqu'à ce qu'elle crève, les coups de sa queue énorme sont de plus en plus violents,il n'y a personne pour l'arrêter.
Laura.R ne pousse pas un cri. Je vois son visage se tordre et sa bouche grimacer un petit rictus compatissant. Tu comprends je suis livide, j'étudiais le latin et le grec, ma mère était catho et ne me parlait de rien, alors il est venu, il a mis sa main dans ma culotte, ce que j'ai eu peur. Mais bien sûr je ne pouvais pas le dire. 
Laura R. aime son tortionnaire. Cela fait quarante ans qu'il la meurtrit. Elle a peur qu'il ne l'abandonne. Elle supplie: ne m'abandonne pas mon amour, ne me quitte pas. Mais son amant veut une femme lavée, sur son trente et un, maquillée et baisable, pomponnée afin de pouvoir l'enculer jusqu'à plus soif. Alors il dit tu vas mal, ma petite Laure, tu me fais peur, vas donc à l'hôpital. Elle dit non, tues moi plutôt.  Elle est seule dans son bunker et quand il la laisse, elle tombe dans un gouffre encore plus profond. Elle attend la fin de son supplice, couchée sur sa planche à clous et lorsqu'il arrivera, elle se tournera légèrement afin qu'il puisse la pénétrer plus facilement.

dimanche 4 novembre 2012

Le bunker, les crocodiles et le cri.

Depuis hier, je suis propriétaire de mon bunker. Je pensais être soulagée, libérée de mes dettes, légère et tranquille, tranquille sous un toit, mon toit. Depuis hier, le bunker est donc mien. Pourtant une lourdeur nouvelle me terrasse, c'est une pierre qui grandit dans mon ventre et qui me plombe. Je voulais être libre et volatile. Me voici rivée dans le sol comme un clou. Mes pieds emmurés dans le béton, j'entends dans mon ventre une créature qui cogne et qui voudrait sortir. C'est peut-être un enfant. Le fait d'être propriétaire me plonge dans une grande tristesse car il y a une chambre qui reste inaccessible et fermée.Il y a une poignée de porte que je n'arrive pas à ouvrir. Avant, je ne me préoccupais pas de cet espace, du nombre de chambres ou du décor. Maintenant cette impossibilité de connaître mon propre bunker me fait souffrir. Lorsque je regarde par le trou de la serrure de cette porte je ne vois rien mais lorsque je colle mon oreille à sa paroi j'entends grouiller,lutter, glapir et couiner. Hier encore, j'avais aperçu un de ses crocodiles ramper dans le jardin, fluide et puissant, sa carapace étincelait au soleil. Il avançait comme un crabe sur ses pattes arquées, courtes et trapues mais sa queue cinglait une menace qui me fit reculer dans mon bunker. Depuis, je les vois, ces crocodiles, un à un s'enliser dans les marécages, circuler sans bruit ou léviter la gueule ouverte, la rangée de dents comme une blessure, un sourire déchiré et terrifiant. Je me dis que ce que j'entends bouger et croître dans mon corps est une sorte d'avorton au lien obscur avec les crocodiles, comme si ces derniers se postaient autour du bunker pour veiller. Leur veille est un îlot de silence où l'enfant peut grandir, s'alourdir avant de déchirer le ventre et de libérer le cri. La chambre fermée doit être percée d'un trou par où s'échappent toutes ces créatures couvées dans l'obscurité. Alors que toute vie semble avoir disparu, les survivants prolifèrent dans mon antre et s'égaillent à présent dans l'univers, guettant le jour où je parviendrai à tourner cette poignée. Mais c'est comme si le cri n'était pas encore assez mûr pour choir dans sa tombe, il y a une lame de couteau contre mon esprit palpitant qui retarde le cri, ce cri qui n'est pas encore assez long, assez fort, assez désespéré.  Le couteau pénètre l'artère, il m'ampute de mon esprit pour laisser exploser le cri, le sang coule dans mon bunker, les crocodiles rappliquent, l'enfant est dévoré. Je sors pantelante et désarrimée, j'atteins enfin cette clairière entrevue, non pas ce premier cirque vert où ne brillaient que quelques gouttes d'argent mais bien cette magnifique clairière où la lumière pleut. Je plonge dans l'eau, une cathédrale dont les vitraux laissent filtrer le soleil à travers des milliers d'arcs en ciels. Dans le silence aquatique, je glisse, légère comme une comète, entourée par les yeux malicieux et les corps rassurants de mes crocodiles.

samedi 6 octobre 2012

Commencer à vivre

L'échec des mots qui s'enfoncent dans la nuit et se heurtent au mur aveugle de mon bunker est une façon de commencer à vivre. Pour commencer à vivre il faut dégorger son corps de toute sa luxure et boire jusqu'à sentir l'alcool chasser le sang et rincer tous les tuyaux. Se regarder dans un miroir et voir ses traits disparaître.
Je vois Laura L. que plus personne n'appelle. Elle est seule sur son canapé, elle achète des fleurs et les regarde de longues heures, elle rêve immergée dans les brumes des drogues, tous ces petits cachets blancs et roses ou bleus, disposés dans des boîtiers aux compartiments des jours lundi matin midi soir mardi matin midi soir mercredi matin midi soir jeudi et vendredi et samedi et dimanche matin midi et soir dimanche aujourd'hui c'est une belle journée d'automne elle est sur son canapé ces boîtiers disposés autour de son corps, elle, Laura R., laisse le temps se perdre dans son cerveau elle ne se lève pas elle ne s'habille pas elle ne répond pas au téléphone elle fume et rêve qu'elle entre dans la mer qu'elle commence à nager nager nager, nager. Un homme venait la sodomiser. Cet homme ne vient plus. Elle a abandonné son petit chien. Elle entend au loin le cri d'un petit animal qu'on éventre. Et puis elle entend le silence. Il est vaste et lourd, d'un blanc aveuglant. Elle respire aussi légèrement qu'une mouette. Ce monde n'est qu'un monde griffonné dans les marges d'un rêve, la vision se dissipe et je me réveille dans un sanglot. Dans le miroir,une main dessine mes traits qui se diluent dans les larmes. J'ai commencé à vivre.  

dimanche 30 septembre 2012

Les yeux dans le puits

Je suis assise sur un banc du square, à quelques mètres de son bunker et je sais qu'elle est nue, immobile depuis des heures sur son canapé, que ses muscles ont fondu, qu'elle a la tête vide comme lorsque les hommes la sodomisent montre en main, elle confond les jours les instants s'arrête de parler et cherche longtemps à raccorder le fil avant de renoncer. Le matin elle ne sait pas s'habiller, ne sait pas ce qu'elle pourrait mettre et finalement renonce encore, ne s'habille pas, ne se lave pas, ne mange pas, s'allonge sur le canapé froid de son appartement bourgeois. Dans l'air, flotte l'odeur de pisse du chien qu'elle a abandonné. Je ne bouge pas. 
Jeune, elle fut fouettée, sous alimentée et privée de sa mère.
L'amant qui vient la sodomiser et qui repart lui a offert un appareil photo pour photographier sa chatte.Pour rester en vie, a-t-il dit. Il lui a offert un gode aussi. Elle s'éteint dans tous les bazars du silence, ses yeux dans tous les puits de son calvaire: la religion catholique, la psychiatrie, le cul. Elle a bouffé des kilos de tranxène dans sa vie, vomi, bu du café, enchaîné des tentatives de suicide que personne n'a remarqué et elle est toujours là. Le fantôme de son chien en rut est couché sur son dos et grignote ses globes oculaires. Sa chatte coule, ce sont des coulées vertes et malodorantes.Elle a peur des arabes.Je me suis enfuie, épouvantée par ce déchet de chair meurtrie, exploité, déplacé, interné depuis des années.
Le téléphone sonne. C'est l'ultime appel de Laura.R. Il résonne dans mon coeur qui s'inflige de grandes apnées. De temps à autre, il tombe dans mes chaussures et cela me fait rire. Quand je sauterai de mon bunker, mon corps fera juste un trou dans les ténèbres, (les ténèbres de tous ces récits pitoyables, récits des narcissismes défaillants comme si la vie était si facile et qu'il suffisait d'écrire tous les jours dans son cahier je suis désespérée je veux mourir et de rester là, à téléphoner pour appeler au-secours), ce sera une fraction de seconde et ce trou très vite se cicatrise et se referme. Il n'y a plus que les morts, les innombrable morts et la vie, qui est si belle.
Je laisse sonner le téléphone. Laura R. meurt nue sur son canapé catholique et bourgeois, le sexe trempé de sperme vert et puant, la peur des arabes collée à son ventre et à ses avortements, les yeux ouverts et vides dans son  puits.

dimanche 26 août 2012

La ronde, mon père, Hitler et le bunker.

Le visage de mon père a toujours été celui d'un humaniste de gauche, un soixante-huitard barbu et replet, un tantinet libertin, lecteur de Trotsky et de Mao, de Charlie Hebdo. Dans son village, il passait pour un intellectuel, lui qui avait passé son brevet, une expédition de deux jours à Saverne, (attention les vélos!)  son père était fier, ses copains jaloux et ma mère amoureuse déjà de ce jeune homme blond aux fines lunettes rondes à monture d'écaille. Très cultivé, lecteur insatiable, il a toujours défendu les valeurs de gauche et voté à gauche, prôné l'athéisme et la liberté sexuelle. Avec la vieillesse ce masque s'est craquelé, il s'est mis à ressasser des souvenirs d'enfance et avec eux se dessina comme un  symptôme un autre visage, obsessionnel, galvanisé: le visage d'Hitler. "Un de Adolf", comme il l'appelait, comme on parle d'un pote, d'un oncle, quelqu'un de la famille, "de Adolf un de arme Eva".(Adolphe et la pauvre Eva). Comme si l'histoire et tout le travail des historiens n'avaient pas su parler de ce qu'il avait vécu, de ce qu'ils avaient vécu (lui,ma mère toute sa génération) et qu'après, la fabrication du "monstre" avait été d'autant plus implacable que personne ne l'avait vu ce monstre, caché derrière l'Amour du peuple, das Volk, le triomphe de la nation, l'amour de la patrie, toutes ces valeurs vertueuses qui reviennent si facilement à la surface sans que personne ne les reconnaisse véritablement. Et c'est, pour la France aujourd'hui, toute la propagande depuis Amélie Poulain, les valeurs du terroir, De Gaulle et toutes les cuisines du Front National, frontistes qui n'ont que les mots France, français, art français de la guerre, identité nationale à la bouche et qui vous sautent à la gorge si vous osez nommer le visage lépreux de toutes ces résurgences.Et pourtant tout ça oui, Madame, a bien à voir avec le nazi.
Donc, à la fin de sa vie, solitaire en son jardin, le patriarche convie le spectre bien aimé, Hitler et toute son utopie, "de Adolf het geglaubt Russland wäre ein Lebensraum un die Jude, was witt", (et les juifs que veux tu) "sen alle unsympathish gewenn"(nous étaient antipathiques)...Le patriarche se tait un instant, les yeux écarquillés d'incompréhension et de quoi, de quoi étaient-ils coupables eux, tous ces enfants qui n'avaient rien à manger, rien à jouer, et Hitler soudain qui vint l'enrôler dans les Hitlerjugend et là, c'était le bonheur, on n'allait plus à l'école, on jouait à la guerre dans les bois, c'était du sport, du sport rien que ça, Geländespiele...que veux tu, que veux tu...Il avait lu les Bienveillantes, lu et relu les Bienveillantes et  la description minutieuse du mécanisme de l'horreur et sa mémoire pourtant résistait, ébranlée, pour ne pas mourir. Il y avait une telle propagande, oui père, oui père bien sûr, c'était la terreur, on ne pouvait rien dire. Ma grand mère avait eu le malheur de dire qu'il y avait plus d'yeux qui regardaient dans la soupe que d'yeux qui les regardaient de la soupe et elle avait failli être déportée pour ça. En Alsace, la soupe et riche lorsqu'elle est bien grasse et cela se voit aux bulles de graisse qui se forment à sa surface et on appelait ces bulles des yeux "Awe" (de Augen) et ma grand mère lavait le linge à la rivière avec d'autres femmes et donc en papotant (en "retschant", de" retscher", créceller) elle avait fait allusion comme ça au fait que la soupe était en réalité un peu maigre. Elle avait été dénoncée pour cela et accusée de défaitisme et de propos subversif. Le lendemain, la police des femmes (die Frauenschaft) avait débarqué chez elle et elle avait été arrêtée et longuement interrogée. Oui, on avait peur, on ne pouvait rien dire, on voyait bien que les maisons des juifs étaient vidées et que tout leur mobilier était"versteitt", vendu aux enchères mais on ne disait rien. On ne demandait pas pourquoi ils ne revenaient pas et bien sûr à l'école on nous apprenait que c'était tous des "dreckjude", des sales juifs, oui. Que veux tu, que veux tu.
Soudain, les yeux du père s'embuent de larmes et il dit: oui, je me souviens, tu sais là où il y a la piscine aujourd'hui, là il y avait un champ et les enfants faisaient une ronde et on prenait un petit juif tout peureux et comme ça on se le lançait dans la ronde, il trébuchait, tombait et on le relevait, on le relançait, je me souviens, il portait des petites lunettes rondes qui tombèrent sur le sol et quelqu'un les avait écrasées et on l'empêchait de les ramasser et quand même j'avais eu pitié de ce pauvre juif mais bien sût je ne l'ai pas montré. Il se tait et déglutit. Sa voix est devenue blanche, il fixe la pelouse de son jardin, lui que ne ferait pas de mal à une mouche, lui qui repoussait la tonte du gazon parce qu'il y avait poussé des petites fleurs jaunes, toutes mignonnes disait-il, sauvages et de la famille des pissenlits, ces fleurs qu'on tient en piètre estime et dont il ajournait ainsi la mort, lui qui laissait dévorer ses salades par les moineaux, qui nourrissait les souris et qui laissaient toutes les araignées tisser leurs toiles partout dans la maison, lui ce père jadis apitoyé quelques instants par le calvaire de ce jeune juif, je savais qu'il n'aurait pas assez de toute sa vie pour racheter la honte d'avoir été dans cette ronde. Il était l'un de ces enfants de la ronde et sa culpabilité inaugurait toutes les autres, non, il n'avait pas aidé ce jeune garçon à s'échapper de la ronde, il ne l'avait pas relevé, il n'avait rien dit, il avait ri et s'était rallié aux caïds, à toutes ces graines de nazis, insouciants, ignares. Il dit encore et oui bien sûr que la petite Anne Franck c'est  certainement "a gut maidel" (une brave fille) mais que veux tu, que veux tu...Ses accès de compassion individuelle se heurtent à la machine, souffletés par la bourrasque de la fatalité, cette tragédie qui a fait que toutes les valeurs exemplaires de notre génie teuton: l'ordre, la discipline, la Zuverlässigkeit ( la loyauté), le travail, l'honnêteté, la propreté, toutes ces valeurs qui font encore la beauté de nos villages, de nos artisanats et de nos industries, comment, comment, tout cela s'est il mué en logique d'extermination, en cette machinerie infernale et macabre, comment toute cette humanité a-t-elle versé dans l'inhumain, comment père et pourquoi crois tu que nous souffrons tous, comment Hitler (qui aimait tant les enfants dit ma mère) a-t-il  pu jouir avec sadisme de la mort de tous ces enfants menés par lui  dans la guerre, dans les fosses, les camps, les fours? Ce type est un pédophile bien sûr, qui a détruit sa nièce Geli Raubal, qui se méfiait de son hérédité, qui s'abstenait de tout alcool, maniaque, abstinent, impuissant, psychotique au dernier degré il a détruit toutes les générations après lui, père. L'excès de vertu tourne toujours au drame mais nous n'avons pas le droit de parler de notre tragédie, à côté de celle vécue par les juifs nous avons le droit juste de nous taire et de pourrir en enfer. Oui, oui, mais tu sais, c'est notre enfance, douze ans en 1945, on ne savait rien en fait, ni la guerre, ni la reddition, à Lichtenberg étaient les allemands, à Rothbach les américains et nous les enfants on a vu arriver ce soldat américain, seul tout d'abord, à pied , il nous a demandé s'il y avait encore des allemands. Et on a dit non, non, plus un seul allemand et il nous a donné des chewing-gum. Le pire n'est pas que mon père ait été dans cette ronde, qu'il ait été cet enfant victime et endoctriné, le pire est qu'il tente encore aujourd'hui, désespérément, de justifier l'entreprise allemande, le génie allemand et qu'il revienne inlassablement sur les dernières heures de Hitler dans son bunker. Ce bunker, il le fait sien et se prépare à mourir.

vendredi 17 août 2012

La valse et le cri

Parmi les réminiscences du corps, il y a la danse. C'est un bal perdu, les danseurs sont seuls, isolés au creux de la vague juste avant qu'elle ne les balaie, ils sont à l'écoute seulement d'une artère qui s'est ouverte entre eux et qui coule.Le sang les brûle, la main est dans la sienne, son autre sur ses reins, les cuisses se frôlent, les vêtements se froissent, elle épouse la ligne de son corps, il s'arc-boute, elle s'emboîte, soudain il la soulève, il y  a ce vertige, un étourdissement, la volupté du ravissement. C'est une valse. Cette danse comme la nuit ne devait jamais finir, à l'aube ils auraient dansé encore. J'ai dansé partout, avec des hommes, avec des femmes, j'ai dansé seule aussi, dansé nue sous les étoiles, la danse est la joie, la vie. J'ai dansé avec les loups dans les ténèbres. Ma beauté s'est épanouie sans être corrompue par les premiers flashs et les sunlights des studios, je suis une fleur de l'ombre. Combien désirée pourtant est cette lumière, celle qui rachètera le labeur, le tâtonnement obscur, le désespoir des premières fugues avortées, reprises, échouées dans le port. Il faut saigner les mots de sa chorégraphie, les mots et les couleurs, exténuer son art et vouer toute son énergie à répéter ses pas, répéter encore au mépris des crampes et des blessures. Endurer toutes les fatigues, les humiliations, les désillusions. L'oeil de l'élu qui doit vous prêter une salle est torve, le silence des journalistes est sourd, les collègues et les proches se détournent et tant d'efforts pour danser se soldent par l'échec, l'amertume et le suicide.Heureusement, le corps porte déjà son allégresse, vous vous heurtez aux murs du bunker sans plus sentir les plaies et les chocs, les loups vous escortent  et votre danse est souveraine, votre cri sera. Vos pas charrient les blocs mutiques pour les casser, les fissurer, expulser votre cri hors des murs, faire saigner les mots. Vous racontez la fable de la jeune fille assassinée, la fable de l'écrivain et de la putain, la fable de clandestin, toutes les poupées russes du bunker. Ainsi sont nés la valse et le cri : Tanz, Schnitt und Strip.

vendredi 13 juillet 2012

Le coeur et le continent

J'aimais les miens.  Nous étions une horde d'infirmes qui marchait côte à côte, nous étions aveugles, et muets, sortes de paralytiques dénués de larmes, noués par la haine. C'est ainsi que nous habitions le même continent et que nous nous aimions de toute la puissance des liens absolus que fondent le mariage, la filiation, le sacrifice et la douleur.
Et puis un jour, ce jour arriva. Soudain, l'été dernier nous décidâmes de quitter le continent pour un petit voyage. Ce n'était rien. Juste le désir d'un petit voyage qui soulevait nos âmes un peu déprimés par un hiver éprouvant, juste un petit voyage dans les îles, parmi ceux vantés par les prospectus et les sites. Ce jour-là, nous franchîmes le pas et nous embarquâmes à bord d'un air-bus, entassés dans son ventre énorme, comprimés dans les odeurs les sueurs onze heures durant avec ce bourdonnement étrange et inhumain tandis que l'hôtesse glissait sur le tapis sans s'apercevoir de l'horreur de la situation.
Donc nous étions embarqués et je voulais de toutes mes forces honorer mes parents, mes frères, mon mari et mes enfants sur ces îles paradisiaques et chaleureuses. Je serai bronzée, souriante, toutes mes batteries rechargées, à point sur le gril. Le destin en a voulu autrement. Je ne voulais pas les perdre.

Mais il y eut la mer. Il y avait tant de houle à cet endroit que nous avions longé la côte à la queue leu leu pour trouver un endroit plus calme - et c'est là - dans le rugissement, le fracas d'un océan étrangement déchaîné, là, dans la précipitation et la panique de cette course des miens devant moi, c'est là que je les ai perdus. Définitivement perdus.

J'ai continué à marcher le long du sentier escarpé et j'ai senti mon âme se figer d'épouvante: mon Dieu! Ne reverrais-je donc jamais ma petite famille? Mon coeur s'est pétrifié, il est devenu un petit caillou solitaire,  Je les ai cherchés ou du moins j'ai attendu qu'ils me cherchent et je sais qu'ils ne m'ont pas cherchée avec beaucoup d'ardeur ou peut-être qu'ils ne m'ont pas cherchée du tout et surtout ils ne m'ont pas trouvée. Et je n'ai jamais su revenir vers le continent. Et ils ont repris l'avion, impossible de rester plus longtemps, le temps, l'argent, tout ça, les congés étaient finis, la vie quotidienne reprenait son cours, m'avoir perdue était assez regrettable mais cela ne devait pas chambouler l'organisation générale.
Je suis restée sur l'île. J'entends parfois la rumeur des distances traversées. Je reste immobile.

lundi 9 juillet 2012

Premier voyage

Le dard du soleil me pique, la boule de chaleur se love en moi et crépite, j'écarte lentement ma fleur qui s'ouvre au soleil, son paysage est une colline soyeuse aux pentes flamboyantes
A mes paupières perle la sueur et dans la lumière roide et blanche je distingue les yeux froids et sans empathie
du tueur.
Mon sexe le brûle, il meurt.

samedi 16 juin 2012

La mouche

J'ai repensé ce matin à mes premiers écrits dans le jardin de Sparsbach ou dans la cuisine de Sparsbach, ce bled perdu au seuil des Vosges du Nord, ce village alsacien qui n'a plus d'école, plus d'épicerie, juste encore un bistrot rebaptisé auberge, bistrot où j'ai essuyé tant d'affronts racistes et sexistes. Dans ce jardin, j'étais alors une jeune fille vaniteuse, écervelée. Une jeune fille rebelle aussi, avide surtout de sport et de discothèque. Courir seins nus dans la forêt, nager, danser: voilà tout ce que j'aimais.
J'ai réalisé ce matin que mon parcours de damnée, celui dont inconsciemment je cultivais peut-être l'affabulation,- affabulation qui rétrospectivement a sans doute été une véritable stratégie de survie,que ce parcours, qui m'avait scrupuleusement détournée de l'agrégation, détournée de la carrière universitaire ou politique- j'entends encore mon père dire un jour dans ce même jardin qu'il aurait fallu m'enfermer, me punir d'avoir saccagé mes années de Normale Sup, de n'avoir pas tenté l'ENA après, (il était grave et un peu rude en disant cela, j'avais reconnu , une fois encore, l'exigence et le caractère bourru de son amour...) - que ce parcours avait obéi au commandement secret de celui de l'écrivain. Cet écrivain ne se savait pas encore mais la jeune fille détruisit tout ce qui aurait pu l'amener ailleurs, dans les grâces d'une carrière honorable et asservie. Et que je n'avais refusé, détruit, vécu- et vécu avec tant d'intensité et de douleur- que,contre toute impératif moralisateur, pour l'écrire, l'écrire ce chemin à l'envers, ce chemin de travers qui me précipiterait dans toutes les turpitudes et difficultés de l'existence. Et que donc, donc cette fuite sauvage hors des cours - j'ai séché les cours avec rage depuis mon entrée au lycée Fustel de Coulanges à Strasbourg, ce qui me valut d'ailleurs d'en être expulsée à la fin de ma première, obligée de m'exiler dans un internat humide et noir de la ville de Barr - ce saccage provocateur devant cet inspecteur sourcilleux à la fin de mes années de Normale (je devrais dire de non-Normale puisque j'ai suivi très peu de cours et flambé l'argent perçu dans tous les bars, cinémas et boutiques du quartier latin), lorsque toute de cuir vêtue j'ai tourné les talons en lui disant d'aller se faire...et qu'il était resté là, assis dans son costume devant son papier où il avait scrupuleusement noté tous ses griefs à l'égard de ma séance- une lecture pourtant de Robert Walser, et qu'il avait finalement éructé avec gravité: "Vous vous condamnez vous-même! Mademoiselle!"...- que toute cette révolte faisait partie de ma destinée d'écrivain. Le lendemain, j'étais radiée et je fuyais dans le sud de la France acheter une pizzeria avec mon voyou kabyle, exil souverain et vengeur à l'encontre évidemment de mes parents qui désapprouvaient mon choix (et qui avaient sans doute raison...), dans la foulée j'enfantais trois fois, je déambulais dans les bourrasques, forniquais dans les caniveaux et tout mon dévouement, toutes mes colères, toutes mes débauches étaient, je l'ai brusquement compris ce matin, tout était justifié d'avance par l'oeuvre.
L'oeuvre qui grandit comme la vie, pas toujours régulièrement ni harmonieusement, mais qui croît toutefois, obscure et lancinante, joyeuse et douloureuse.
J'ai compris aussi que la vie, qu'on dit parfois si courte, est longue en même temps, que ces deux vérités ne s'excluent nullement: l'une est l'autre comme la vie et la mort, toutes ces contradictions que j'avais vu s'abolir lorsque j'errais aux alentours de l'hôpital St Pierre à Strasbourg où se mourait mon frère. J'avais alors pressenti, dans ce vent à la fois doux et vif, humide de l'automne alsacien, que chaque seconde est l'éternité. Que la mouche qui vit trois jours vit cette vie avec autant d'intensité et de conviction que toi, et que, pour elle aussi, cette vie si brève, doit paraître courte et longue à la fois, ponctuée des mêmes épreuves et des mêmes émotions. C'est dans cet hôpital que j'avais rencontré un prêtre, un pasteur je crois, et que, dans la déraison de ma douleur j'avais cru comprendre qu'il me confiait une mission. Celle d'écrire. 
Il est vrai que j'écrivais déjà mais que je n'étais pas écrivain. Peu après, je me suis attelée à la tâche, j'ai vomi toutes mes tripes,j'ai cherché le souffle d'un récit qui aille au delà de quelques pages, j'ai écrit Diagonale de l'Exil. J'en ai écrit trois autres. J'écris dans l'indifférence générale, cloîtrée dans mon bunker. Mais la surdité et l'hostilité qui environnent mon oeuvre, une fois encore, sont les signes précurseurs de l'Oeuvre. La malédiction se poursuit donc sans encombres. Rester dans ce bunker est une torture parfois mais cela m'aide à  supporter le silence. La mission doit être accomplie.

dimanche 3 juin 2012

Le Bain

C'est à Marseille, dans la Cour des humbles, que j'ai fini par échouer. J'ai fait couler un bain. Dehors, titubent les humbles, les copains, défoncés, sous  camisole, ensanglantés. Avant d'entrer dans ton bain, tu mets du rouge à lèvres, parce que le rouge c'est le sexe, et le sexe la mort. Je me plonge jusqu'aux épaules dans une eau brûlante. Dans la vapeur, je regarde longuement la froideur carrelée puis je ferme les yeux. J'écoute le silence d'une goutte isolée contre la porcelaine. Soudain, le sentiment de ta solitude t'étreint. Une fois de plus, je pense à la liste des choses à faire.Rappeler la banque. La convaincre que j'ai de quoi racheter l'appartement saisi, rappeler le notaire pour lui dire d'appeler ma banquière, la convaincre à son tour, pour qu'elle arrête ses silences dans la conversation et ses remarques désobligeantes: vous êtes sûre que- peut-être que- oui, mais- mais, toujours ces MAIS. Tu sais pourtant que tu n'en feras rien, tous les téléphones seront cois. J'aime prendre mon bain brûlant, fenêtres ouvertes, sentir dans la vapeur cet air frais, né de la rencontre de deux airs chauds. J'ai posé le cendrier, le verre de whisky sur le rebord. Tu bois une gorgée. Frissons et convulsions résultent de cette ingurgitation. Tu sais bien que depuis que tu es entrée dans ce bunker, tu es victime de procrastination. Il te faut aussi payer les charges, payer l'électricité, déjà la troisième relance, bientôt le coup de sonnette de l'agent ERDF, tu n'ouvriras pas la porte certes, mais. Il y a aussi les P.V.,ceux d'un nouveau genre, des PV sans papillon sur la vitre de ta voiture.Verbalisée par des flics invisibles, quelque part à l'ombre d'une vitre teintée, ils pianotent et toc, le courrier arrive tout seul dans ta boîte aux lettres. Je bois une autre gorgée. J'attends la lenteur de mon sang, de la sentir se diffuser dans mon corps je sais que je ne m'exécuterai pas, que je ne ferai rien du tout.Tu ne feras pas ce que tu dois faire. Tu ne feras pas ce qu'on attend de toi. Ce que toi même tu devrais attendre pour toi même, tu en es tout simplement incapable. Au lieu de cela, tu te pinces le nez, tu plonges dans la baignoire. Tu voudrais disparaître dans ses profondeurs mais ce n'est qu'une baignoire.Tu sors de ton bain. Tu arpentes ton bunker et tes pieds mouillés laissent des traces. Tu te retournes. Il doit exister une pilule magique. Mais la trace a  disparu, tu as disparu.

dimanche 6 mai 2012

Le corps bunker suite.

Le corps bunker a les yeux qui chavirent derrière les paupières. Le regard parti, il sombre dans le silence, une sorte de déconnexion de ses facultés mentales.
Le regard part loin et scrute à l'intérieur de ses cloisons l'obscurité du bunker. Il écarte les jambes, le regard évanoui, la pupille chavirée.
Il reste ainsi immobile, les yeux ouverts, le regard parti, les jambes écartées, une grande tension écartelant les cuisses, le fuselage blanc, étincelant.
 La verge apparaît lentement dans la chaleur aveuglante. La branche est tendue, noueuse, gorgée de sang. Le braquemart fonce droit, heurtant la paroi comme une voiture un mur.
Le sang afflue à son visage immobile.
C'est la rupture, un éblouissement, la défaite.

mardi 24 avril 2012

Le bunker de la salope.


Quand cela avait-il commencé? L'état cataleptique. Le corps coupé. Le corps ailleurs, étranger, enfermé dans son bunker.
Il entre sa verge. Tu sais que t'es une salope? Oui. Oui grand-père, oui père, oui mère. Oui. Dis le. Dis le que t'es une salope. Je suis une salope. Plus fort. Encore! Il flanque un coup de pied dans ses flancs. La sueur dégouline le long de ses reins. Je SUIS UNE SALOPE. De le dire, les larmes n'arrivent pas. N'arriveront plus jamais. Elle devient forte, ses yeux se barrent. C'est elle qui dit: "Encore." - Quoi? -" Encore." Dis le. Dis le bien, mon ange. Dis quelle belle salope tu es! Je suis une salope, une sacrée salope, une putain de salope. La verge entre plus loin. La pierre dedans durcit, elle est coupante et gèle dans sa bouche. Les genoux écorchés brûlent. Les mains titubent sur les pierres. Dis que tu es " Ma salope". DIS LE SALOPE! Elle se tait. Il  flanque un autre coup de pied, l'agrippe par les cheveux, tire sur le mors. - Oui, Monsieur, comme tu veux, je suis TA salope! MA PUTE! Dis-le! Encore! Encore! Sale pute! Elle se tait à nouveau. Elle ne dira plus rien. Les hommes piétinent ses mains sur le chemin. Les rafales entrent dans sa bouche, la verge d'une embardée vient heurter la paroi. Elle ne crie pas. Elle est dans son bunker, elle regarde le corps comme une actrice se voit dans un film, qui est cette femme? se demande-t-elle. Ce n'est pas moi. C'est la salope. Quelle belle salope! Une bombe qui vous butera tous, bande de fils de pute!


dimanche 15 avril 2012

Le corps bunker

Le corps bunker n'est plus un corps qui se regarde dans le miroir. Le corps bunker n'attend plus le regard de l'autre, le regard de l'homme qui ne la regarde pas et qui ne l'a jamais regardée. Cet homme qui se branle dans ton con ton cul ta bouche dans tous tes trous te fourre et tu ne sais pas tailler une pipe et tu ne veux pas tailler une pipe et les hommes leur impatience de chiens qui te jettent sur le plancher juste pour copuler et c'est toujours pareil et cela qu'il faut sucer bite longue lisse noueuse bite sombre couleur saint-doux rouge brique rouge boudin bleue violacée noire terreuse tiède ou fumante savonnée malodorante lisse fripée mince rabougrie toujours la même la même bite Non le corps bunker ne taille plus de pipe ou alors celle qu'il a choisi en vous ligotant sur un rocher. Le corps bunker est souverain, c'est un corps nymphomane et triomphant, le moindre souffle effleurant sa vulve hypertrophiée l'embrase et l'électrise, le rend aussi volcanique et affûté que la lame d'un couteau. Le corps bunker n'est plus compatissant, plus compréhensif non plus, il n'est plus maternel, il n'est pas bon, il est impavide et fou, il a le regard vitreux de qui veut baiser et être baisée et rien que ça et quand, où, comment il le veut, il a le regard qui tue. Le corps bunker est absent, il a les yeux fixes et fous, il est aveugle. Il est somnambule il est sourd, il est muet. Il est sourd, muet, camé, défoncé. Il est allé jusqu'au bout de ce qu'on ne voudrait pas qu'il soit. Jusqu'au bout de ce qu'il est. La déflagration est une allumette qui l'embrase et le voilà qui brûle, qui halète et qui plante sa vulve sur n'importe quel instrument. Le vagin est engourdi, il est sans mémoire. Il oublie instantanément. C'est une bête sauvage, une créature instable, superbe et imprévisible. Mais sa pierre crée le plaisir, une volupté telle que vous donneriez tout ce que vous possédez pour ne le saisir qu'une fraction de seconde. 
C'est le corps bunker.

vendredi 9 mars 2012

Le bunker de ma bouche

Le macadam est gris poisseux. C'est arrivé un matin. Jusque là ma respiration expulsait les mots, parfois avec difficulté mais quand même, dans l'ensemble, ça allait, j'y arrivais. Et puis ce matin là, je ne sais plus exactement quand, mais le macadam était gris poisseux, des crottes et des mégots jonchaient le sol, ma respiration s'est coupée, les mots ont gelé dans ma bouche, puis aussitôt ils se sont embrasés mais cette braise dans ma bouche est restée stationnée là. La cavité intérieure est incendiée, la braise est sur ma langue mais rien ne sort, la lave ne s'écoule pas hors de ma bouche. J'étais devant un agent de police qui me demandait avec insistance ce que je faisais là sur le trottoir.
Je n'ai pas répondu. Ils étaient deux. Il y avait une femme avec un chignon blond, elle s'est plantée les jambes écartées devant moi.. Les klaxons résonnaient dans ma tête, dans ma bouche la braise tisonnait avec fureur.Elle a croisé les bras. Elle a plongé ses yeux froids dans les miens et elle a dit à son collègue: Laisses, tu vois pas qu'elle est dingue. Son visage s'est approché, son oreille était écarlate près de sa joue, elle a expulsé les mots en soufflant sur mon visage, articulant avec force mimiques comme quand on parle à un sourd: Vous avez des problèmes mentaux Madame? La crasse du bitume me monte au ventre, la brûlure jette des couteaux sur les parois, je me tais. C'est fini. C'est facile.
Plus rien depuis n'a franchi le seuil de mon palais. Et je suis au seuil intact de ma vie.
ça a continué avec le prochain client. Finalement c'était plus simple pour demander l'argent.La braguette est ouverte,il a les yeux exorbités, je lève la main, tends les doigts: trois c'est trente euros quatre je n'aime pas, cinq c'est cinquante euros et je n'ai pas à dire Monsieur ni s'il vous plaît. Muette, j'ai vite compris que cela les autorisait à pérorer les chasseurs et que la sourde et muette était le trou de leurs sales confidences. Ils ne tarissaient plus, se racontaient sans fin et j'avais envie de leur trancher la gorge. Alors j'astiquais plus fort, je pompais plus vite, j'oeuvrais en silence et consciencieusement jusqu'à ce que ouf! ils lâchent enfin le foutre et ferment leur gueule, les mots cèdent la place à de vils et piètres gémissements, c'est fini. Putain tu la fermes! c'est ce que je pensais alors et j'étais bien contente de ne pas le dire mais de juste le penser. Penser, bosser, tendre la main sont mes seules activités dorénavant et encaisser le pognon. Même pour le reste de tes activités sociales, ça va très bien vu que ça se limite à entrer dans un magasin quelconque, à désigner du doigt ce que tu veux, à payer. Dans les supermarchés, c'est encore plus pratique! Tu poses sur le tapis roulant. J'arpente mon trottoir, je grimpe dans les véhicules, je regagne mon bunker. Mon chien m'attend, il est silencieux comme moi. Nous vivons tous les deux dans un complet silence, aux aguets. A la moindre alerte, nous nous dressons sur nos séants, c'est sûr nous pressentons avant tout le monde les tempêtes solaires et la fin du monde. Et dans ma bouche, la braise tisonne doucement comme un fauve à l'affût.

dimanche 4 mars 2012

Le miroir de mon bunker.

 Ce matin, l'un des miroirs qui bringuebalent dans mes appartements m'a ouvert les yeux. Son signe fut un frémissement limpide: une porte s'est fermée et j'ai vu. Le visage ruisselant, me relevant sous le jet d'eau , j'ai jeté un oeil, j'ai vu pendre les pelures, les écorchures, j'ai vu les pores rouges, violacés d'une peau morte, craquelée. J'ai vu ce visage sans visage et j'ai vu qu'il était vieux. Je comprends maintenant ce qu'on veut dire quand on prétend qu'on peut prendre des années en une fraction de seconde, qu'on blanchit en une nuit sous l'ardeur d'on ne sait quelle douleur. Je comprends que je ne suis ni plus ni moins vieille, mais que je me vois pour la première fois.
Longtemps, je ne me suis pas regardée dans le miroir. Je ne prêtais pas attention à ce miroir. Je regardais à travers ce miroir. Mon visage était une pierre. Mais ce matin, dans le miroir, une main s'est emparée de ma pierre et l'a jetée de toutes ses forces contre le miroir. Le miroir s'est brisé, une femme avec une enfant est entrée dans le square. La petite fille est à peine âgée de trois ans. Elles avancent lentement. La femme traverse le miroir pour amener son enfant au jardin d'enfants. C'est dimanche, il n'y a pas d'autres enfants. Elle parle doucement à l'enfant qu'elle tient d'une main; de l'autre, elle pousse une poussette vide. La femme s'assoit sur un banc et regarde son enfant qui babille seule sur le toboggan. Le soleil est froid. La mère a les cheveux vaguement attachés, son visage est pâle, sans fard.  Elle n'a pas pris le temps de se parer, elle n'a pas le temps de se regarder dans un miroir. La femme est dans une grande solitude, la solitude d'être seule avec son enfant seule. Elle avance seule dans la buée du miroir, elle flotte sur la surface lisse, brillante et froide du miroir. Elle est seule, esseulée dans la tâche colossale d'accompagner son enfant seule au square. Elle l'encourage de sa voix. La femme a un deuxième enfant. Puis un troisième. Elle est toujours aussi seule à frissonner sur le banc, à écouter les rires de ses enfants, à se refléter dans le miroir de mon bunker. Ses enfants rient, ils bâtissent autour d'elle les murs du bunker où le corps de la mère va s'ensevelir. Au fil des jours, son visage se pétrifie. Son visage est une pierre. Personne ne peut l'approcher.

mercredi 29 février 2012

Le bunker et les oiseaux.

Ce matin, dans l'indifférence impitoyable des murs de mon bunker, le téléphone a sonné. Mon éditeur m'informe de la parution de mon livre: "Seule dans la Nuit de l'Autre". L'auteur s'appelle Anne Valérie Münch. C'est moi: Anna Bunker. Il dit: Le problème est que les exemplaires d'auteur nous sont revenus avec la mention NPAI, n'habite pas à l'adresse indiquée. J'ai dit: -Normal, un bunker n'a qu'une adresse secrète. Dans le mien, seuls les rêves peuvent être postés. J'ai raccroché et je suis allée au square avec Tolstoï.
Au square, c'est déjà le printemps on dirait. Au square sur mon banc, j'ai entendu les oiseaux qui s'époumonaient à se faire péter le gosier. Je sais moi que les oiseaux célèbrent ainsi la parution secrète de mon livre. J'ai perdu la raison. Il n'y aura aucune promotion, aucun article de presse, rien. Les oiseaux chanteront la mort de mon livre, je lui creuserai une tombe et je le mettrai avec les autres, tous mes livres mort-nés, mes bébés de papier, rongés  par la terre, les signes noirs abolis par l'humidité. Cette tombe est mon bunker. Je me réveille parfois terrifiée, vautrée dans les pages froissées des cadavres qui jonchent le sol  glacé. Un jour ma bouche goûtera leur pourriture amère, j'étoufferai. Sur les décombres de mon bunker se poseront les oiseaux, qui chantent si fort la mort et l'arrivée du printemps.

dimanche 5 février 2012

Un bunker en carton.

Sous le froid carnassier, le fil des jours s'étire, glacé, précaire. Je ne sors plus guère de mon bunker. Dehors, je ne croise presque plus personne. Il n'y a plus de femmes sexy, celles que j'aime tant suivre dans la rue. Celles qui nient l'âge avec fureur, les cagoles sur leurs cothurnes, elles ont disparu! A mon grand désespoir car d'habitude j'emboîte le pas d'une de ces midinettes graciles et cela me remonte le moral, elle caracole coquette sur l'asphalte, je la double; c'est une antiquité, un rouge à lèvres orange déborde sur les commissures. Cela me donne les larmes aux yeux. Elles sont tellement touchantes, tellement humaines, à vouloir donner le change et niquer la mort! Où sont elles désormais? L'ère glaciaire aura eu raison d'elles également, elles, mes chimères qui branlent un peu la tête, faisant bringuebaler le doux vacarme de leur quincaillerie.
Il n'y a plus que de rares passants. Des créatures un peu rafistolées, très informes sous leurs couches de hardes dépareillées, tout rabougris et tout boiteux, ce sont les ultimes, les déficients mentaux. Sur leur visage danse un sourire infini de pure affection. Ils en bavent même un peu. Comme leur bave gèle immédiatement, ils ressemblent alors à des branches givrées, perlées de larmes de glace transparente et pure. Je voudrais les inviter dans mon bunker mais je crains leur fonte et leur disparition sur mon sol de béton. Je vais donc voir ma voisine, calfeutrée dans son bunker en carton. Elle les a soigneusement disposés autour de son corps ficelé dans un duvet. Je l'invite à venir boire un thé. Elle secoue  la tête. Elle a de petites mains et des yeux bleus avec des sérosités roses autour Elle aussi porte le léger sourire des aliénés.. J'insiste avec véhémence, je m'énerve, je lui dis qu'elle va mourir. Elle a pitié de moi et me bénit doucement de sa petite main transie de froid.