Sélection du message

Der Schnee.

Du vent. De la neige. Putain. Rien d'humain. Tu écris quoi ? Depuis des mois, tu n'en sais rien. Tu as rencontré son visage. Son si...

mardi 22 décembre 2015

Der Schnee.

Du vent. De la neige. Putain. Rien d'humain. Tu écris quoi ? Depuis des mois, tu n'en sais rien. Tu as rencontré son visage. Son silence. Chaque flocon qui se pose et la douleur. Cuisante. Peur avec la neige, que quelque chose s'ouvre si elle me touche. Peur que cela se mette à saigner, à suinter de partout.
 Quand j'ai vu ce visage, j'ai su immédiatement que c'était exactement le visage dans lequel je devais impérativement éviter de plonger. Tout ce que je voulais, c'était ne rien ressentir, ne rien ressentir jamais. Depuis toujours, ne rien ressentir c'est tout ce qu'on souhaite en de pareilles circonstances. Alors, quand j'ai sniffé bien profond la neige, c'est ce que je voulais, une fois pour toutes, ne rien ressentir et faire semblant de jouir, comme toujours. J'essayais de déterminer si le type qui me baisait le faisait sans que j'en eus conscience ou si j'avais été présente tout du long. C'était ça l'énigme. Je compris que si je restais là encore longtemps, je n'aurais plus jamais conscience de rien. Je me baladerai muette ou en me rabâchant sans cesse mes deux phrases préférées. Raconte moi la neige. Der Schnee. La neige, elle disait des trucs que je ne pouvais pas entendre. Des mots que j'avais attendu toute ma vie et que je ne pouvais pas entendre. Alors je veux frapper ce visage de la neige. L'anéantir. Des mots qu'il n'aurait pas fallu prononcer. Des mots, des traces qui étaient des sentiments impossibles car c'était de là, de cette neige, que naissait la nécessité de ne plus rien sentir du tout - de les bloquer. 
Elle me plongea toute entière dans les choses mêmes dont j'avais besoin de me libérer. Avec elle, le sexe n'était pas du sexe. Avec elle, ça devenait quelque chose d'entièrement différent. Elle commença à dérégler mes mécanismes et mes esquives. Mon aveuglement. (Toujours ce besoin de faire diversion, comme avec les hommes. De contenter l'autre pour ne pas avoir à penser à soi.) Le calme de la neige s'empara de moi. Parler paraissait encore si loin. Plus personne ne me jetterait comme un objet cassé. 
Et elle m'attira, m'encercla, ne ma lâcha plus. Elle était blanche, irrémédiable. Je m'y cramponnai, j'étais prête à tout pour qu'on m'aide, et je ne voulais plus partir de là ; c'était comme si j'étais revenue à la maison. 

dimanche 11 octobre 2015

NAÎTRE DU SILENCE, un hommage à Gaston Bachelard.

Gaston Bachelard est cet homme humble qui ne prononce aucune phrase philosophique ou prétendue telle lors de ses interviews. Pour élever sa fille, il avait refusé un poste au lycée et préféré enseigner dans un collège de Bar sur Aube, son village natal. Il fut un professeur qui ne sévissait jamais, qui ne brandissait jamais la menace du zéro, qui achetait des croissants et emmenait ses élèves dans de longues promenades. Marcher au grand air dans la nature, tel Zarathoustra, causer et cheminer sont des exercices qui ouvrent l'esprit et suscitent la réflexion. Il ne s'agissait évidemment pas d'accompagner l'exercice physique par des pensées, il s'agissait bien d'une alchimie native entre le fait de marcher, de respirer et de penser. ( Cet immense" philosophe" s'est d'ailleurs beaucoup intéressé à l'alchimie). 
Au fil de la promenade, la pensée peut suivre les pentes douces de la rêverie et laisser émerger des songes qui sont plus riches que les concepts sclérosés, éteints et qu'on croit trouver dans la posture assise du penseur ou de l'humaniste à son bureau. Le 19 Janvier 1955, lorsque Bachelard cesse d'enseigner il affirme: " Je me suis donné à l'enseignement". Je me reconnais dans ce pair, dans ses causeries, sa rêverie, son appartement bouché par les livres, sa bonté. Enseigner sans prétention didactique, sans hiérarchie, sans salle de classe et sans cours magistral, voilà ce à quoi j'aspire. Partager, donner, marcher, rire et s'envoler dans l'éther du savoir, voilà comment j'essaie d'enseigner.
 De la même manière, Bachelard avait compris que l'écriture était une émergence en acte de l'imagination, non pas de l'imagination considérée comme une sorte de réservoir d'images, une donnée psychique présente à priori mais bien comme une énergie dynamique et sans cesse renouvelée, une création en acte, une "Poïesis". Cette dynamique se détourne des images visuelles et du bruit. Les yeux fermés, il faut éteindre les images réelles, éteindre le vacarme du monde et fixer par un regard tendu dans le vide une sorte de silence visuel où l'on attend la lenteur magnifique et légère de ce qui s'écrit...Les poètes et ces musiciens, Gaston Bachelard les appelait des" silenciaires".
Je suis née de ce silence.

samedi 3 octobre 2015

LES MOTS DU SOIR

Les" Mots du Soir" proposent cette année un cycle de lectures et de mises en voix dont le calendrier appartient à toux ceux qui sont désireux de lire et de partager des textes, inédits, connus ou moins connus voire pas connus du tout. Anne Valérie Münch, Camille Dappoigny et Delphine Dieu ouvriront le bal avec des lectures d'auteurs: Marcel Proust, A la Recherche du Temps Perdu; Louis-René des Forêts, Ostinato ; Robert Antelme, L'Espèce Humaine. Nous libérerons les âmes captives, plongerons les petits papiers dans des liquides qui permettront aux villes, fleurs, jardins, personnages et paysages de prendre forme et de nous transporter dans l'éther du rêve ou du voyage. D'autres que nous peuvent lire et d'autres encore proposer des textes, des écritures, des illustrations. Nous serons parfois dans le salon d'Anne Valérie mais nous proposerons également d'autres lieux: théâtres, cafés, musées ou clairières et des performances: brûler des livres, découper une robe, proposer une eurythmie, un cadavre exquis etc...Le calendrier de ces rencontres est en cours d'élaboration.  On a redemandé 43 mon amour dans sa version concert avec Bernard Geyer, nous tâcherons de répondre à cette demande. Bien à vous.

vendredi 14 août 2015

ETE 15



Libération ne m'a pas demandée d'écrire pour eux. Cette chronique d'été. On ne demande rien à un écrivain comme moi. 
D'ailleurs, je n'aime pas l'actualité. Les actualités. Cette voix à la télé qui se veut joyeuse, madame et monsieur bonjour ! Et ce journal télévisé qui n'est qu'un tissu publicitaire et chauvin vantant les mérites d'une France du terroir, régions, traditions,spécialités, nos têtes blondes, oui mamie t'as vu ce qui passe à la télé??? Je veux le feuilleton à la place! Elle n'informe pas, elle n'est que le miroir d'une France qui se rassure et qui veut retourner dans le ventre maternel et nationaliste d'une pouf blonde et chrétienne, le tout sur le ton faussement enjoué de l'optimisme malgré tout. Il y a trop de migrants. Trop. Le problème ce sont les généralités: les migrants, les émigrés, les arabes, les juifs, les terroristes. La généralité tue l'individu. (Tu me regardes et tes yeux d'esclave sont shootés par le taf, ton corps reste immobile car le moindre mouvement réveille les douleurs, c'est le corps de fer des esclaves antiques. Tu es le héros des temps modernes, mon amour. En pleine canicule, tu es debout sur les chantiers, debout sur les échelles et je reste loin de toi, bien à l'abri dans mon appartement bourgeois, la clim tournant à plein régime. Es tu un migrant ? Oui ? Un clandestin ? Oui. Un sans papiers? Certainement, mon amour.)
Depuis Eté 80 de Marguerite Duras c'est à dire depuis trente cinq ans on pourrait montrer que le monde a changé, qu'une barbarie nouvelle, jamais égalée dans l'horreur sévit partout dans un monde qui se délite au rythme de ses flux mondialisés...mais non, curieusement certaines lignes restent furieusement d'actualité, comme si rien ne changeait jamais. C'est la même barbarie, elle a toujours existé. C'est un  même effort qu'on demandait aux français en 1980, « cet effort en vue d'une année difficile qui vient, de mauvais semestres, de jours maigres et tristes de chômage accru » dans la bouche d'un menteur, un monsieur qu'elle n'ose pas nommer et qui est son ami, Mr François Mitterrand. D'autres menteurs ont défilé et le scénario se répète inlassablement malgré les promesses d'infléchissement voire de rétroversion de la courbe du chômage et chaque année on dit que la crise est là et aussi qu'on en sortira. Près de quatre décennies de ce même discours en déprimerait plus d'un et les français ont atteint et dépassé tous les seuils de dépression. Plein de haine et sans espoir. Les français n'en peuvent plus. Heureusement cette année, il y a la Grèce.

Tires-toi ma belle ! Tires toi tout de suite, ma belle. Plonges la tête dans les draps du Best Western en Avignon où a commencé depuis hier le 50e festival de théâtre et qui va battre son plein malgré la crise et les conditions de vie déplorables des intermittents du spectacle. Et là aussi on veut vous distribuer du rire à pleines brassées d'affiches de programmes et de flyers-une débauche de papier malgré les vœux de festival écolo, écolo mon cul, tout comme le président pollue et qu'on accueille la nième inutile Conférence sur le Climat. Le festival c'est aussi tout ce gaspillage, une pollution visuelle et sonore, une aventure harassante pour ceux du off qui alpaguent quelques touristes en ciblant le gris, il faut viser les argentés, ceux qui ont de quoi payer. Car en 2O15, la denrée la plus rare aussi, c'est l'argent. Et c'est la Curée.

Elle découvre l'eurythmie et ses vertus de zénitude, quête spirituelle d'un occident malade et elle prend le bus, s'éloigne du centre, hors des murs qui enferment la cul, culture de la décadence. Car autour du centre ville, il y a les faubourgs et de la nuit émergent des spectres en djellabas. Ils quittent les maisons, babouches et barbes hirsutes, et viennent s'attabler, manger et faire du bruit. Car Juin 2015 est le mois du ramadan. Est-ce vraiment cela ? Pourquoi sont-ils confinés aux faubourgs, à ces quartiers tristes et mal éclairés, coupés de cette vie culturelle trépidante et démocratique, le festival qui bat son plein à quelques mètres, cerné de murs qui isolent la culture dans une tour d'ivoire dont certains restent bannis et qui les laisse indifférents. Sont-ils exclus ou se tiennent-ils volontairement à l'écart de ses fêtes impies, orgies mécréantes et gorgées d'alcool, de sexe, de nudité sale, beurk, ça les dégoûte, ils en crachent par terre. Elles ne sont que deux dans ce bus de lumière climatisé, deux femmes qui ont trahi et qui regardent la nuit et ses fantômes. Ce sont essentiellement des hommes, les hommes qui sont dehors, il y a peu de femmes et celles qui s'aventurent à l'extérieur sont voilées complètement-et elles regardent ça, cette énigme pour elles qui ont tant milité pour le port du pantalon, elle qui portent les cheveux courts, elles fixent de leurs yeux scandalisés le spectacle désolant de ces momies noires, ces linceuls où grossissent les femmes enfermées et même qu'elles touchent les parties des hommes dans le bus, bien protégées, mais ça il faut pas le dire. Est ce vraiment cela Farida ? Car Farida est une des deux femmes confortablement installées dans le bus, Farida est musulmane et sans religion. Comment regarder ces frères et ces sœurs qui sortent dans la nuit pour rompre le jeûne ensemble, boire et manger ce que les femmes ont préparé toute la journée. sans ressentir une violente émotion, une entaille qui cisaille le ventre et qui lui donne envie de vomir le fastueux repas gastronomique qu'elle vient d'offrir à son amie. Et jusqu'au petit déjeuner de l'hôtel Best-Western, un brunch qui n'a rien de petit, avec viennoiseries, œufs à la coque, charcuterie, graines et fruits, céréales, fromages et journaux. Car toi Farida, toi, tu es riche et seule. Tu as grandi à Mulhouse et quand tu entendais parler des arabes, tu ignorais que ce fut toi. Tes parents ne te parlaient pas vraiment, il était dur et brutal, elle se contentait de te nourrir et ne pensait qu'à ça : nourrir sa progéniture. Un truc au moins qu'elle partage avec la mère alsacienne.(italienne itou, russe, polonaise bref toutes les mater dolorosas de l'univers) L'obsession de la bouffe. Je te vois Farida, tu es ce moineau aux pattes mortes, petites pattes dures qui t'isolent du courant électrique mortel, tu regardes au loin et tu veux réussir. Tes plumes sont ternes et au dessous, il y a le sang coagulé, ta blessure entièrement cicatrisée. Personne ne t'a expliqué comment survivre. Et tu t'envoles, tu vas chercher l'argent, tu deviens chef d'entreprise. Aujourd'hui tu as beaucoup d'argent, des quantités d'argent, tu as cet argent dont tout le monde rêve. Tu as le pouvoir. Et cet argent t'isole encore un peu plus, loin des tiens, loin des autres. C'est ta liberté qui t'enferme et qui fait monter en toi ce cri impossible. Quel cri ? Quel cri Farida quand tu es autoritaire, quand tu coupes court à la conversation, aux effusions et que tu quittes les gens si brusquement, quel cri une fois la porte de ta chambre d'hôtel refermée, quel hurlement, inaudible de sauvagerie, quel hurlement de bête blessée pour échapper aux regards hypocrites et inquisiteurs de ta famille musulmane, ton mari, tes enfants, toute l'Algérie. Tu te mutiles sans douleur et mon désarroi voudrait te prendre dans mes bras car je sais que ta carapace s'effondrerait d'un coup dans un grand flop de poussière. Tu es blême et tu vas mourir. C'est le mois du Ramadan.On en parle pas dans l'actu. On fait comme si ça n'existait pas. On ignore la propagation du virus, de plus en plus de jeunes qui le font ou prétendent le faire. Au supermarché, l'adolescent est arrêté par le vigile, il a planqué tous les kinder bueno sous son tee-shirt, il lève les bras, impudent ; j'ai rien volé, c'est ramadan , dit-il.

C'est la canicule. Le gouvernement cette fois a anticipé, déclenché le plan, appelé les personnes âgées individuellement. Les infos ne parlent que de ça. Bourrés de conseils pratiques : comment s'hydrater, les vieux, les bébés, éviter l'exercice physique, acheter des brumisateurs, ventilateurs, squatter un endroit frais au moins une heure par jour etc etc...Canicule et ramadan, cher Prophète, as tu jamais pensé au réchauffement climatique ? Il est interdit de manger, passe encore, mais boire, comment ne pas boire par quarante degrés à l'ombre sans mettre en péril sa santé ? La chaleur accable et dévisse les cerveaux, elle rend les gens irascibles, à bout de nerfs, il y en a qui pète les plombs. Ce type à La Ciotat le 13 Juillet (où l'on tire le feu d'artifice la veille du 14) qui va chercher sa batte pour   te défoncer la gueule, dit-il, parce que tu as osé te garer devant son portail. Tu t'excuses, tu dis excusez moi monsieur, mais vous voyez bien le monde qui est venu pour voir le feu d'artifice qui commémore notre révolution. Quelle révolution??!! hurle-t-il, tu te fous de ma gueule, pétasse, de quelle révolution tu me parles ? Tu dégages ta bagnole de là et fissa ! C'est une propriété privée ! Et puis le boucan du feu d'artifice, les pétards stupides, les chiens qui ont peur.

Elle avait écrit qu'il faut un jour entier pour s'abreuver d'un fait d'actualité, qu'il faut un jour pour l'oublier, un jour encore pour effacer ce qui avait été écrit et puis, enfin, écrire. C'est ça le deal, l'inconciliable dynamique de l'écriture et de l'actualité. Car l'écrit qui colle au fait n'en est pas vraiment car il n'y a pas la distance nécessaire à l'écrit. Une actu est une plaie à vif, instantanée et sanglante. On aimerait rester collés, subjugués par son spectacle, son hystérie et sa démesure. On aimerait chevaucher à cru sa réalité flamboyante, son inédit inédit, passer en boucle ses images (comme celles jadis déjà du 11 Septembre) garder scoop le scoop alors que sa loi est éphémère et ainsi, on court d'actu en actu sans recul aucun et donc sans possibilité de rien comprendre. L'actu est alors frustration perpétuelle. On voudrait cet œil fixe, écarquillé, indéfiniment ouvert sur l'obscène, sa crudité d'oeuf cru et qui vient juste de se briser, on veut se shooter à la répétition de son instant qui devient une hallucination tandis qu'on titube déjà dans les décombres et les destructions.

On voudrait garder l'oeil ouvert, or, pour écrire, il faut d'abord fermer les yeux. Ne plus rien voir et inventer. M.D était à Trouville, elle regarde l'enfant et sa monitrice de colonie de vacances, elle invente leur histoire. Je suis à Marseille, il n'y a pas de colonie de vacances pour les petits marseillais. Nous partons en direction de le Ciotat, un peu plus loin il y a la Corniche du Liouquet, une petite baie paradisiaque et bleue, des pins accrochés de guingois sur la falaise, je regarde ton corps nu et mince, un peu flétri qui s'avance vers la mer. La maladie te rend funambule car tu évites de poser l'aplat de ton pied à cause des articulations qui font mal. Alors tu as ce pas aérien et un peu claudicant, petite Chaplin un peu fluette et drôle, la douceur, ta douceur sur le fil. Tu nages un peu maladroitement, toujours sur le dos, tu as vite froid malgré la chaleur. On dit c'est l'été. Ça y est, ça sent l'été. Cette saveur sèche qui craquerait presque dans l'air, la senteur un peu acidulée, de thym, de menthe et de figue. Ou alors ce frémissement argenté des oliviers. Non ? Ce n'est pas ça non plus. Et pourtant c'est l'été. Sa chaleur, sa langueur, cette envie de mourir aussi et ta beauté lorsque tu es couchée, frêle dans le paysage, parfaite et sans douleur. C'est une parenthèse, l'été. Une parenthèse de liberté. Un temps d'arrêt, de vacance. Ne plus travailler. Être nue, la peau mouillée qui sèche dans le vent, la saveur du sel, les yeux fermés sous le soleil.

Les yeux fermés, je vois l'homme et la femme de la maison abandonnée. Cette histoire que je veux écrire et que je n'écris pas. Peut-être après tout devrais -je raconter l'histoire d'une femme et d'une femme. Et aussi des générations de femmes qui ont modelé cette maison, peut-être une autre maison, plus ancienne. Car la maison abandonnée n'est pas une maison ancienne, c'est même un bunker assez moderne, une maison édifiée par un couple qui avait choisi cet endroit sauvage pour inventer un lieu digne de leur amour. Leur nid d'amour. Isolée au bout du chemin, la maison jouxte la forêt immense et offre une vue saisissante sur un étang aussi grand qu'un lac mais ils avaient aussi conçu et aménagé leur territoire à l'aide d'un paysagiste. Ils avaient repoussé la forêt sauvage, domestiqué les sols, planifié leur paradis de verdure en dessinant les emplacements, la géométrie et la forme des bosquets et des végétaux. Elle surtout avait minutieusement placé les signes afin de créer un paysage digne de leur union, un paysage qui exprime cet amour avec la volonté d'en offrir au visiteur le miroir.
En même temps que ce nid d'amour, ils érigeaient un mausolée. Comme tous ceux qui croient à cette aventure, leur lucidité ne les avait pas préservés des dangers qui guettent toute volonté d'enfermer l'amour. Sa lente agonie entre les murs et même dans ce magnifique jardin sauvage, son euthanasie, son asphyxie reflétée dans le miroir figé du paysage. Ils étaient comme tous ces couples embarqués dans les crédits immobiliers, leurrés par la fable, tous ces couples qui achètent des maisons, ne parviennent plus à les payer, les transforment en prisons et en champs de bataille des héritages. Il existe aujourd'hui des centaines, des milliers de maisons abandonnées, vendues un euro pièce et dont personne ne veut. Roubaix tente l'aventure, envoie une délégation copier le modèle de Liverpool.

Mais n'anticipons pas . La maison est immobile, seule dans son obscure splendeur de lieu déserté. Triste et vide à en mourir. Comme l'été certains soirs, quand il n'y a plus le moindre souffle. Le soir suspend son vol, l'été frivole se fige et découvre sa solitude accablée. C'est la fin. La fin déjà de l'été.

L'été 2015 est cet air languissant et sec et c'est le bruit des cigales. Leur chant est lancinant et strident, il ponctue les terribles coups portés par la chaleur. C'est le souffle d'un four et ses vagues chatoyantes qui brouillent les lignes du paysage. Des vapeurs hallucinées qui rappellent les lignes de la drogue. C'est l'été, à la fois intemporel dans son retour accablant, retour de chaleur, de corps nus sur les draps, de moustiques et d'insomnies épuisantes. Et puis c'est l'éphémère d'une saison, le temps d'une parenthèse, d'un amour entre parenthèses, un flirt dont la naissance et la frivolité contiennent déjà la fin et la mélancolie de sa disparition.

En vrac, une adolescente kamikaze a explosé en plein marché. Boko Haram envoient les enfants à la mort et Paris est une ville sale, très sale, classée vingt quatrième au rang mondial des villes propres. A Cannes, un roi saoudien a acheté une plage et tous les commerçants se frottent les mains et multiplient les courbettes pour accueillir cette clientèle haut de gamme. La femme voilée dit « je vais faire les magasins, je vais m'amuser » et la ville recrute une centaine de chauffeurs supplémentaires pour promener ce scandale, nul ne s'offusque ni ne condamne, une jeune chômeuse française écarte le racisme ordinaire à l'égard du manque de mixité musulman et postule avec espoir car les saoudiennes doivent être conduites par une femme. Le fleuriste exulte et prépare des milliers de fleurs pour ce « conte des mille et une nuits » saoudien. La journaliste ne formule aucune perspective critique à la privatisation de cette plage. Le fric des assassins ne gêne pas la France.

Et soudain, le 25 Juillet 2015, le ciel s'est embrasé d'éclairs et la température a chuté de vingt degrés. Erdogan massacre les kurdes et personne ne dit rien, ou presque.


mercredi 1 juillet 2015

LA VOIX DES ANGES

Tout allait bien. Oui. Très bien. Tu comprends. Depuis, comment, quand, je n'en sais rien mais tout allait bien. Elle était radieuse. Elle passait son temps à crier sans voix, à frapper autour d'elle de façon désordonnée, à éviter les miroirs. Elle carburait, ça oui, sans répit. Mais tout s'était bien passé.  Elle souriait tandis que la trame impitoyable de ce qui se prépare sans crier gare tisse sa toile silencieuse. Elle s'était légèrement renversée en arrière durant la lecture, elle avait fermé les yeux un instant. Un instant, elle avait mesuré son épuisement. Puis elle avait souri à nouveau à l'assistance, elle s'était efforcée de répondre aux questions même si elle ne voyait ni n'entendait vraiment son interlocuteur. Elle avait rempli ses obligations, ramené son fils à la gare. Puis elle était rentrée dans la maison, avait fermé la porte. Elle était restée, combien de temps, combien, sur le canapé du séjour, ralentie, somnolente et souriant toujours au silence.
Alors à ce silence  elle porte enfin une attention profonde. Il existe cette boule de fer qu'on fait rouler sur le parquet pour symboliser l'orage qui approche. Mais il n'y a rien , pas de tonnerre ni de foudre, pas d'orage, juste ce qui s'avance inexorablement et qui ne fait pas de bruit. Ce qui explose de façon incompréhensible, en quelques secondes, en quelques minutes, en quelques heures, et rien,, rien, tout, tu comprends, tout est anéanti, détruit, saccagé. Il n'y a que l'absence de signes, l'absence du moindre symptôme qui viendrait trahir la rupture, rien, tu comprends. Et c'est dans cette absence que surgit la félicité radieuse. Elle sourit aux pompiers, elle sourit à ces formes blanches qui s'activent dans le sous marin. Ouf, plus besoin de courir, de répondre, de sourire. Le visage tout entier devient radieux tandis que le sourire disparaît légèrement. Il ne s'adresse plus à personne. Elle flotte à présent au dessus d'une armature de cristal. Ses branches sont si fines. Elle ont l'air fragiles, elles ne se brisent pas pourtant. Le silence est éclatant et pur. Il est transparent.. Elle sait qu'elle dort à des profondeurs insoupçonnées, lumineuses et vides. Au fond de ce silence, elle distingue déjà les voix des anges.

O'BUNKER: LECTURE MUSIQUE ET CREATIONS SONORES

O'BUNKER: LECTURE MUSIQUE ET CREATIONS SONORES



RENDEZ-VOUS LE 25 JUILLET en MAIRIE d'INGWILLER
Avec Bernard GEYER et Anne V. MÜNCH
UNE PERFORMANCE INEDITE avec  rencontre et séance de dédicaces. 
Entrée libre, pot de l'amitié.

samedi 11 avril 2015

LECTURE MUSIQUE ET CREATIONS SONORES

RENDEZ-VOUS LE 25 Juillet en mairie d'INGWILLER à 20heures
Avec Bernard GEYER et Anne V. MÜNCH pour UNE PERFORMANCE INEDITE
                                         43, Mon AMOUR

Entrée libre, rencontre, débat et séance de dédicaces, pot de l'amitié.

INVITATION


jeudi 19 mars 2015

L'extase d'être nue.

Le labyrinthe est une enfilade de pièces innombrables et identiques à quelques détails près.  Ces pièces menues sont des cellules vitrées où sont disposées les femmes, les jeunes filles, les petites filles et quelques éphèbes. 
Certaines sont assises sur des tabourets. Elles sont pensives et leur regard est vide. Elles attendent.
D'autres somnolent debout et d'autres encore dorment d'un sommeil profond sur les sofas.  Leurs chevilles sont tatouées du code barre. Elles sont scannées afin de pouvoir effectuer les règlements sans qu'elles aient le plaisir ou l'humiliation de palper l'argent. Les billets de banque ont disparu. 
Elles ne sont jamais entièrement nues, contraintes d'arborer un ornement quelconque qui symbolise leur identité d'objet sexuel. Une étiquette, un logo, des bas, des mules à talon aiguille uniquement. Des colliers de cuir cloutés, des menottes, des corsets. Hier pourtant l'une d'entre elles a tenté un mouvement de révolte, dans un cri elle a brutalement arraché tous les accessoires, elle les a jetés au sol comme un enfant furieux, elle les a piétinés et s'est blessée car elle était alors pieds nus, chose incroyable. Puis elle s'est jetée nue contre la vitre qui n'a pas cédé. Elle fut quelques instants dans l'extase d'être totalement nue puis l'alarme de la cellule s'est évidemment enclenchée, le petit gyrophare orange s'est mis à clignoter et la stridence nous a toutes transpercé le tympan.  Le personnel est immédiatement intervenu, elle a été ligotée et le médecin a pu administrer sa piqûre. Puis l'homme a replacé le piercing, il a commandé sur son I-phone un tatouage supplémentaire. Le tatouage tribal du labyrinthe. Pour la punir, il l'a baisée là,  nue sur le sol, il l'a retournée, il l'a enculée; il a tiré ses cheveux très fort vers l'arrière durant toute l'opération puis il l'a mordue jusqu'au sang. Il n'a pas éjaculé. Lorsqu'il est sorti, la lampe orange s'est éteinte. Il y eut alors un grand silence dans le labyrinthe. Puis ce fut l'extinction des feux.

samedi 14 mars 2015

Le Labyrinthe, le sexe et le visage.

Lorsqu'il entre, la chose est disposée sur une sorte de sofa. Plutôt une table de skaï blanche et légèrement inclinée de telle sorte qu'elle soit disponible à mi-hauteur, accessible à un homme debout, cuisses écartées, membre érigé, les pieds bien à plat sur le sol.
Elle a été préparée durant des heures, revêtue d'un corset noir à lacets ; elle est nue dans son porte-jarretelles et ne porte que des chaussures, des sortes de mules à longs talons et sans attaches sur la cheville. La légèreté de ses sandales semble annoncer une chute toujours imminente mais qui, miraculeusement n'a jamais lieu : les frêles souliers de satin battent la cadence du corps bouleversé mais ne tombent pas. Jamais.
Elle avait été lustrée, huilée, poudrée. Outrageusement maquillée. Colorée. Décolorée. Epilée. Ecervelée.

C'est un bel objet lisse, sans aspérités, sans irrégularités, brillant et fluide, fondu dans une seule coulée, apprêté et posé sur le sofa comme une fleur artificielle.

Il est debout. Il ne la regarde pas. L'objet n'a pas de visage.  De la paume de la main,il fait basculer le corps, expose le sexe replié entre les cuisses. Ses lignes pures et longues occupent tout l'écran,. Au centre du paysage, la pulpe d'une lèvre forme une courbe plus proéminente. Le tableau de lignes abstraites est d'une beauté à couper le souffle.
Il palpe d'un doigt, froisse la corolle pliée, écarte légèrement. Puis il flatte, malmène l'objet, le claque, le griffe. Il pose sa bouche, l'humecte de salive. Il enfonce, détruit et poursuit son saccage.
Je m'approche et je caresse les cheveux, le visage ignoré. Je le fais en guise de consolation. Puis la caméra vient se fixer sur la fleur froissée, dépliée maintenant. Le sexe. Ouvert. La profondeur. Béante.
Lentement j'efface les couleurs du visage. Je retire le masque.

Dans les autres pièces sont disposées d'autres femmes. J'ignore le nombre total des chambres, le silence est effrayant et presque parfait, il n'y a d'autre bruit que le vent, le vent des cris, des chairs qui claquent les unes contre les autres: flap, flap, flap. Au coeur du labyrinthe peuplé par ce vent noir je me couche sur le sol et je trace une série de signes, comme les lettres d'un rêve qu'on croit comprendre et qui se brouillent et s'évanouissent aussitôt. Car je sais que ce visage peut dans une seconde, une fraction de seconde, se dissiper comme un visage de songe.
  Nous ignorons la mort. Mais ces bruits, ces han ces flap ce vent noir ce réseau de pierre ce froid ces objets disposés  sont la mise en scène. La chorégraphie avant que tout s'arrête. On peut se blesser longtemps sans mourir. Sentir qu'on est vivants.  Avec tous ces bruitages, ces cris, ces gémissements. Avec les objets et le décor.
Je distingue enfin le visage. C'est un visage enfantin et souverain. Il me sourit. J'essaie d'embrasser son front, ses joues, ses cheveux, ses lèvres, j'essaie avec ferveur de l'embrasser partout, partout, mais je ne rencontre que la texture lisse et glacée du miroir.

dimanche 22 février 2015

Mon anniversaire

Il y a des mots. Irréparables.
Un autre que vous les entend. Un autre que vous les prononce. Mais ils sont là, ils sortent, ils sont vivants.
Puis ils rebondissent, reviennent vous heurter, vous détruire. 
Ce sont des tessons qui coupent, balafrent, font saigner. Ils entrent, déchirent tout à l'intérieur.

Qui sont-ils déjà? Je ne me souviens pas. J'ai quitté les mots aussi.

Fillette, la prochaine fois, tu les avales. Tu te débrouilles comme tu peux. Tu les fais refluer dans ta gorge, tu les enchaînes, tu les jugules, tu piétines. Tu étouffes. Une fois tués, tu prends une petite pelle et tu ramasses les morceaux des mots et tu fais disparaître jusqu'à leurs traces.

Après tu es sèche et nue et vide.

J'ai fait le ménage.  C'est mon anniversaire.

dimanche 4 janvier 2015

2015 : Le bras de Mer et le vaisseau fantôme.

Le rivage de 2015 clignote dans l'obscurité, une frise palpitante de lumière dans la nuit.
Elle était là, la mer. Elle savait qu'elle pouvait le faire.
Ce n'était pas la mer. Juste un bras de mer. 
Accroupie sur la plage, elle contemple ce bras de mer. Calme et vaguement frissonnant avec des mouvements obscurs  mais la mer la laisserait aller à sa surface, déchirer doucement cette texture mouvante sans sombrer dans les profondeurs. La mer la porterait. Elle nagerait avec régularité, persévérante et calme. Elle ferait la planche à intervalles réguliers pour économiser ses forces.
Elle entre dans une eau curieusement tiède pour un 31 Décembre. Elle nage. Doucement. Il y a juste un froissement. La lune éclaire la moire liquide, la surface soyeuse d'une mer lisse et accueillante. Elle s'applique, alterne brasse et crawl, son sillage est mince, sa progression fluide. Elle fend l'eau sans heurt et sans bruit, elle nage le plus régulièrement possible, lance minutieusement ses bras vers l'avant, contrôle son souffle, se concentre sur cette seule tâche. Quand l'eau devient lourde, elle se tourne sur le dos, fait la planche, respire. Le ciel est constellé d'étoiles. Le silence est magique.
Elle devient un poisson, un serpent, une anémone, un cheval de mer.
Elle est au centre de deux collines, portée par une longue houle qui creuse son corps pour mieux la hisser sur ses crêtes. Glissant dans ses courbes voluptueuses,elle ne voit plus aucun rivage, il n'y a plus de rivage, aucune bande de lumière, aucun horizon. Elle est au centre du néant, au centre de l'océan, elle est dans l'éternité.
Et soudain tout est en ordre. La musique de la phrase est parfaite. Sa perfection tranche violemment sur l'imperfection de ce monde.
Au loin, elle voit le fantôme d'un vaisseau fou qui dérive rapidement vers elle. Le navire est tous feux éteints, cabré dans son silence. Elle distingue du monde à bord, des visages crispés, noirs de sel et de fatigue, les yeux rouges. Il passe devant elle et l'effleure à peine tandis qu'à l'arrière, un enfant agite un chiffon blanc.
La cruauté des hommes sur la terre est de si courte vue, les peuples de la terre ne sont que rage et violence, ils ne soupçonnent pas l'existence infinie de la mer, son indifférence devant tous ces combats et toutes ces migrations. Le sang des hommes, si héroïque soit-il, tout ce sang versé dans la Méditerranée, ne laisse pas la moindre trace pourpre sur l'étendue noire. La puissance de la mer est impitoyable.
Elle ferme les yeux. Son corps, tous ses muscles éprouvés par les heures de nage ne font plus mal, elle est dans une sorte d'apesanteur céleste. Une main invisible s'est levée du fond pour l'entraîner dans les profondeurs. Elle cède à la paix liquide, entourée de cadavres, la paix absolue des profondeurs, celle qui sommeille immuablement depuis le commencement des âges. Elle était tout proche des lumières de 2015. Elle ne le savait pas. Un vent nouveau se lèverait. 
Il la prendra dans ses bras. Le fera-t-il?   La mer n'a-t-elle pas déjà tout englouti?