Sélection du message

Der Schnee.

Du vent. De la neige. Putain. Rien d'humain. Tu écris quoi ? Depuis des mois, tu n'en sais rien. Tu as rencontré son visage. Son si...

samedi 30 janvier 2016

Marcher vers toi

La route vers toi a été si longue, dit Lola, je marchais sans mâcher, j'avalais la route à grands pas, mon regard au devant courait comme mon chien, j'ai traversé toute la zone et je n'ai pas trop regardé  à côté, seulement le ciel  sans bornes où poussait à chaque fois cette douce nuit étoilée. La route était étendue sous moi comme une grande lessive qu'on aurait mise à sécher et elle devenait livide parfois quand le soleil cognait dur et sombre le soir, sombre comme le lit d'une rivière. Je marchais vers toi ou croyais le faire car tu m'avais appelée et je penchais légèrement le front et mes mains auraient voulu te briser pour te créer à nouveau. Je marchais vers toi et je fuyais car à chaque fois au bout du chemin une bifurcation, un plus loin, une autre colline, une autre forêt, encore et encore vers toi qui t'éloignais sans cesse. Ton visage au bout du chemin se diluait et je marchais toujours, fuyant les fantômes qui se collaient à mes basques, à mes pas malgré tout, les fantômes de ceux qui m'avaient défoncée, ligotée, anéantie - et maintenant, maintenant que je suis là, près de toi, maintenant que je peux enfin m'arrêter et souffler, maintenant que tu m'as prise dans tes bras et que je suis au bout du chemin vraiment, maintenant ils se jettent sur moi et me dévorent. Ce sont les démons d'un cauchemar si atroce que je ne suis plus qu'une plaie purulente en toi, qui suppure et qui ne guérit pas. Je dois donc te fuir à ton tour pour ne pas te détruire, reprendre mon chemin et errer sans fin dans la zone. Et je sais ce quelque chose de sombre, d'intact et de cruel qui nous rend conscientes d'un très beau lien et puis le déchire. Tu resteras derrière moi et tu feras écran pour que les fantômes ne me rattrapent plus jamais. Je reprends la route, il y a dans la zone encore des rochers, des forêts inhabitées, le ciel, le vent,et la maison abandonnée. Je la trouverai.

samedi 2 janvier 2016

2016 : une larme, éperdue et salée.

Le Mur était tangible.  Il sectionnait les arbres, les ruisseaux et son cerveau. L'histoire avait survécu sur quelques lèvres peut-être puis elle était morte, elle avait disparu ; et avec elle le monde qu'elle portait dans ses flancs.
Et soudain, tapie contre le Mur, il y a cette petite fille, cette petite migrante aux yeux hagards. Ce sont des yeux qui ne cillent plus que faiblement à la lueur de ses allumettes et qui battent la mesure de son épuisement. Quand elle la prend dans ses bras, l'enfant ferme les yeux.
Elle porte l'enfant et découvre la nuit de la Zone. Elle s'aperçoit alors qu'elle n'est pas obscure et jamais complètement sombre. Une voix vient de très loin, une voix qui a parcouru des espaces infinis avant de commencer à ruisseler, une voix faible et libre, venue du fond des âges...
Elle marche vers 2016 et traverse d'abord la jungle, celles des tentes et des ordures. Puis elle entend le vacarme de la guerre. Des bruits d'obus. Des chapelets de balles traçantes, des gemmes roses de fusées, des tirs en rafales. Des types décharnés, barbus et crasseux. Des momies. Des filles condamnées au viol circulant à la queue leu leu avec un écriteau suspendu au cou. Et la puanteur, une odeur saumâtre de fumée, de cordite, de charbon, de corps en décomposition et de pétrole. Dans ses bras, l'enfant était morte.
Regarde à côté. Vois ceux qui étaient couchés sur les paillasses. Les rayés. Les os des morts dans la soupe des vivants. Toutes les architectures semblaient pulvérisées, comme les restes que l'humanité avait laissé derrière elle avant de disparaître.
C'est la nuit à nouveau. La température avait chuté. La lourdeur gagne ses bras et ses jambes tandis que la neige se met à tomber. Blottie contre le chien, elle regarde la chute silencieuse des flocons. Les images du chaos sont ensevelies. Tout le poids du dehors tombe à travers ses yeux et s'abîme en elle avec une telle force que son coeur éclate dans sa poitrine comme un verre. Une étoile brille dans le ciel, une étoile comme une larme qui hésite à franchir la rive de l'oeil, une larme qui brille, brille, brille avant de s'éteindre, de couler, de tracer la ligne éperdue et salée de 2016.
Le blanc contre le noir. Le noir de la matière noire, cette obscurité hurlante. Le noir des chemises, des drapeaux, de la baise.
Un chapeau de neige chute, une voltige de paillettes danse devant ses yeux: le vert, le bleu, le mauve. Ni le noir, ni le blanc mais toutes les couleurs de la neige.

                                                                  Extraits de Schizophrenia.