Sélection du message

Der Schnee.

Du vent. De la neige. Putain. Rien d'humain. Tu écris quoi ? Depuis des mois, tu n'en sais rien. Tu as rencontré son visage. Son si...

lundi 30 mai 2011

Un sourire bunker


Je suis au seuil de ma vie intacte. Je vais servir de jouissance aux hommes, rien d'autre. Jusqu’à ce que le calice se referme et que je sois une forme entièrement vide, immatérielle d’avoir été défoncée de part en part, une armature aérienne, une comète gracile dans le néant. Pour l’instant, la forme n’est pas encore épurée. Un fil traverse le bunker. Un fil métallique tendu à l'extrême. Le geyser couine, écartelé  entre les murs, le carrelage des toilettes publiques. Quand il entre, il ne me regarde pas. D'un seul geste, il empoigne le con. Ses doigts trempent dans une vulve mouillée. Il dit salope.

Mais il ne me prend pas tout de suite. Il écarte chirurgicalement. Il écarte et regarde d'un œil froid ce qu'il a découvert. Puis d'un doigt il branle le clito, clapotis vif d'un qui baratterait du beurre, un souffle inhumain s'exhale de ma chaudière. Il ne me baise pas sur la bouche.(...)
Je suis restée debout, la porte ouverte, le sperme dégorgeant le long de mon entrejambe. J'ai attendu le suivant. Il a mis sa main aussitôt dans le trou tapissé du premier. Puis il m'a tirée hors du cabinet et m'a collée contre le lavabo. Il a soulevé ma jambe droite en passant son bras sous mon genou. Je suis une araignée en équilibre sur un seul talon, hanchée, je creuse mes reins en équerre, il voit sa queue entrant et je la sens limer un peu en travers. Je me suis regardée dans le miroir, j'ai vu un visage souverain, des joues lames de rasoir, un sourire bunker.

À Normale Sup, j'étais, disait-on, une élève brillante. Mais j'avais bien d'autres soucis. À Fontenay-aux-Roses, un chauffeur de taxi grimpé dans ma nuit, a infesté toute l'institution de ses morpions. Je savais déjà que ma carrière ne serait pas universitaire.

dimanche 29 mai 2011

On ne sort pas du bunker

À la sortie du bunker, vous réalisez que vous êtes vous même le bunker. Le bunker ambulant marche.
Elle marche. Le pavé sonne clair sous ses pas. Elle traverse la violence des paysages. Elle dort. Les hommes la défoncent sans qu'elle ne se réveille, le cerveau est obscur, les mots jugulés tout au fond du bunker. Elle n'est personne, elle n'est rien, juste une coque emmurée. 
Sans visage avec un sexe mort hissé dans la lumière, le sexe ou l'anus, ou l'épaule, ses reins, la chevelure ou rien, rien d'elle qu'une cascade d'objets bafoués.

vendredi 27 mai 2011

Bunkers russes

Dans le bunker il y a un autre bunker. C'est la cave. Elle est sombre et vineuse.
C'est le principe des poupée russes. On y viole encore plus tranquillement.
Dans la cave, il fait noir. Les pierres suintent une odeur humide de vinasse. La main se resserre sur son poignet. La voix est douce. Trop douce. Les mots sont chuchotés. Obscurs, incohérents. Le timbre de la voix est rauque.
L’instant suivant, il l’attire contre lui d’une main et cette main plonge dans sa culotte.
Ses ongles dérapent sur les pierres. Elle ne peut s’agripper à rien. Elle se débat pourtant de toutes ses forces. De toutes ses forces, elle mord, elle griffe.
Elle ne crie pas. Les mots sont jugulés dans le noir, piétinés au fond du bunker. Aucun son ne franchit la ligne de sa gorge.
L’épouvante muette la soulève. La folie. Elle marche plus vite le long des maisons de son enfance. Une autre voiture vient de la frôler. Elle sait que cette voiture va faire demi-tour, s’arrêter. Elle montera dans cette voiture.
Elle se débat toujours, les bras qui l’assaillent sont comme des pinces, de l’acier ; le visage de l’homme est rouge, soufflant et jurant, il sue à grosses gouttes puis il la tire violemment vers lui. Elle sent une épaisseur gluante s’engouffrer dans sa bouche. C'est sa langue.
Elle voit son visage se gonfler, enfler, il a l’air de souffrir puis il pousse un obscur juron et lâche l'enfant.
Elle court sur la chaussée. La voiture n’a pas fait demi-tour. Elle court dans la nuit et ses pas font un vacarme énorme dans le silence. Derrière elle, des phares. Elle quitte ses chaussures et court plus vite. Brusquement, elle change de trajectoire et se retrouve au milieu de la chaussée. Elle fend la nuit avec colère. Elle voit son ombre et la lumière. La lumière enfin. Elle se retourne.
Elle sort du bunker et du bunker dans le bunker. Elle sort vers la lumière, projetée vers elle comme si la lumière était la seule seule issue, le sol sous ses pas est aussi mou qu’une onde ; elle entre dans un champ. Elle se blottit dans l’herbe et la regarde.
Elle regarde longtemps. L’herbe danse doucement autour d’elle, elle ne distingue plus son cœur, seulement la salve sèche des palmes dans le vent. Elle ne pleure pas, ça et là tremblent des taches de lumière, quelque chose de doux et de triste s’épanche des ondulations des herbes et des fleurs ; elle sent les battements de son cœur reprendre lentement et le sang ; le sang circule dans sa chair comme un fleuve de lait. Elle regarde le ciel.
Le ciel est vide. Elle ferme les yeux. Son visage durcit, se ferme.
Dans la cuisine du premier bunker, sa grand-mère va et vient. vaquant doucement à ses occupations ménagères. La mère porte les tartes aux mirabelles. Le père boit son schnaps.

mercredi 25 mai 2011

Bunkerstrip

Avant d'être écrivain, j'aurais voulu être stripteaseuse. Pas ce genre de strip langoureux et gigotant qu'on peut voir contre des barres, non un strip radical, total, qui vous met nue en entier et sans fioritures, un strip mortel. J'ai toujours dansé nue sous la lune même avant qu'un homme n'ait scellé mon bunker. Et finalement il a fallu y aller dans ce bunker, dans le noir tout au fond pour héler des gros blocs mutiques et les briser, pour fragmenter les mots et les remonter de ce lointain, le désert d'un sexe nié, ignoré, abandonné à sa propre surdité hurlante. Pour se mettre nue rien de tel que l'écriture.Une cloison se déchire, les flots envahissent la coque, coulent le navire.

C'est une merveilleuse contrée que l'Alsace, avec sa ligne bleue, ses monts et ses vaux. Et que de belles maisons ! Quelle propreté ! Quel souci de l'ordre, que de rigueur et d'élégance! Chaque maison en vérité est un bijou ciselé, patiemment serti de génération en génération ! Quel faste aussi ! Il y a du pèze, du labeur ! Les paysagistes sont légion et font recette, le week-end c'est la valse des tondeuses. Chaque domaine est savamment agencé: là tel cyprès ou tamaris, des haies, des fleurs ! Que de fleurs ! Des géraniums à toutes les fenêtres, des corbeilles, des rangées de bégonias, d'hortensias, de rose trémière, le lierre couvre les façades, des guirlandes de vignes ornent les perrons. Et chaque maison possède son potager : carottes, tomates, poireaux, potirons, salades et surtout pommes de terre mûrissent sous les ciels changeants des souvenirs de guerre. J'ai marché des heures dans mon village natal, longeant patiemment toutes ces belles maisons, émerveillée par toutes ces vies de labeur consacrées à la conservation, à la restauration et à l'amélioration de ces demeures. Nains de jardins, leurres animaliers, roues ciselées suspendues aux murs, un vrai chat souvent joliment étalé sur le seuil. C'est un conte de fées. A tout moment on pourrait voir surgir les images du folklore, Hansel und Gretchen, elle, en rouge et noir avec de jolies tresses blondes, lui en knicker bocker, allez savoir, bras dessus bras dessous, souriants et roses à force de manger du cochon.

Je suis revenue vers ces maisons, inlassablement questionnée par leur beauté et leur mystère. Leur approche est plus difficile qu'on croit. A peine arrivé à leur hauteur, les jappements furieux d'un ou de plusieurs chiens de garde vous glacent le sang. Et puis il y a le silence derrière tout ça, rien ne bouge. Les volets sont clos  ou les rideaux tirés. Vous prenez conscience d'approcher d'une propriété privée. A votre coup de sonnette répond une cellule photovoltaïque d'identification et si par malheur, vous oubliez de sonner, un fusil se braquera instantanément et fera feu.

lundi 23 mai 2011

Mes patients ne rêvent plus depuis longtemps


Mes patients ne rêvent plus depuis longtemps. Dans le rétroviseur, je suis blafard. Dix heures par jour pendant dix ans. Mon regard est bleu, immobile, translucide. Je suis un mollusque. Je suis grand et gros, mon visage est blême, bouffi et soigneusement rasé. Je porte des lunettes design, mon allure a sans doute quelque chose de lent et de flegmatique qui plaît aux femmes. Mais je n’ai jamais réellement séduit de femme. Je ferme les yeux un instant. Dans cette fraction noire, la collision me frappe de plein fouet, un bolide m’emboutit. J’ouvre les yeux à nouveau, la route est vide, ensoleillée, nulle trace d’accident. Depuis longtemps, j’espérais des jours vides comme cette route, des jours sans obligation d’action. Il est le seul être dont je supporte la présence. Au volant de ma voiture, une joie intense, presque insupportable, s’empare de moi. Dans mon fauteuil de cuir noir, je suis impassible.

Les gens devraient tous se tirer une balle dans la tête...
 
J’ai jeté un œil sur les bouffissures du visage. Elle a déplié ses jambes de façon provocante, endormie. Je n’ai pas cillé. (…) Je les ai contemplés longtemps tandis que s’amplifiait la rumeur du jour, les multiples bruits d’une activité diurne et familière. Elle, la patiente et son chien. Ils formaient un tableau hors du temps, d’une immobilité bouleversante, happant le sommeil comme deux survivants à peine émergés d’une tempête.

Le chien aussi dormait profondément sous le talon de sa maîtresse recroquevillée, gisant ivre morte sur mon fauteuil thérapeutique. Il s’était étalé de tout son long sur le côté, les pattes bien droites et rangées, la tête sur le parquet, sa robe oscillant visiblement au rythme de sa respiration. Je constate avec horreur que sa maîtresse est en train d’uriner dans mon fauteuil.
Lorsqu’elle s’éveille une heure plus tard, elle se tord et se met à vomir par-dessus l’accoudoir. Et me voilà, moi, la sommité, l’éminent spécialiste, en train de laver cette ivrognesse en murmurant des paroles encourageantes. Enroulée dans mon peignoir, je l’ai couchée sur mon divan et je suis sorti.

Mes tempes me font mal, j’ai froid subitement. Je me retourne, évidemment, il ne m’a pas suivi, il est resté avec elle. Un coup d’œil dans le rétroviseur, il est là. Au début, il se couchait toujours ainsi à côté du fauteuil où se tenait sa maîtresse et il restait là, durant toute la consultation. De temps à autre, il ouvrait un œil, s’étirait ou soupirait et son immobilité avait la stupéfiante beauté d’une statue.
Au gré de nos entretiens, je me surpris à le contempler. Svelte et musclé, son corps était parfois furieusement déplié, étalé dans toute sa magnificence de fauve. Une bête altière aux pieds de sa belle. Calme et vigilante. Il semblait dormir mais son pelage tressaillait au moindre bruit.
Je distinguais le rythme de son amour et l’affolement parfois de son cœur. Pendant qu’elle parlait, il rêvait. Son imaginaire est tout entier nourri de courses sauvages, de prédations et d’esquives. Ses pattes tricotaient dans le vide et j’accompagnais en silence ses traques de savane. J’avais recommencé à rêver.

Elle est en face de moi, elle vient de décroiser les jambes dans son fauteuil et agite pathologiquement sa mule ; je fixe le talon aiguille qui bat douloureusement dans le vide. Je jette vers elle un lent regard oblique et froid. Ma décision est prise. Elle ne m’a pas reconnu lorsqu’elle est montée dans la voiture. Le chien, oui. Il s’est mis à agiter la queue. Elle a tout fait comme d’habitude. Et cette fois, elle a bien franchi la ligne.
La nuit était noire.

Qu’est ce qu’un chagrin ? J’ai passé la cinquième, la route est droite, vide, ensoleillée.