Sélection du message

Der Schnee.

Du vent. De la neige. Putain. Rien d'humain. Tu écris quoi ? Depuis des mois, tu n'en sais rien. Tu as rencontré son visage. Son si...

dimanche 30 octobre 2011

Une femme nue marche dans la rue.

Depuis peu, les commandes affluent au bunker.  Ma spécialité professionnelle est la réalisation des rêves de mes patients, pardon, de mes clients.Un rêve est posté.  Je satisfais la demande. Chaque rêve est référencé.
Le rêve O748: Une femme nue marche dans la rue. Cette femme marche devant moi et je n'arrive pas à la saisir. Mais je sais qu'elle m'emporte ailleurs.
Je réfléchis assez longuement à ce que signifie marcher nue. Être nue, c'est être humble. Sans protection, sans fard, sans artifices, faux-fuyants mais aussi sans honte. Marcher cependant peut-être conquérant, l'expression d'une souveraineté. Humble et souveraine, elle marcherait. Elle décide alors de jeter tout ce qui l'habille, la sépare, la préserve. Elle jette les atours, les bijoux, les colifichets. Elle jette les certitudes, les coutumes, les mots appris.Elle est une chrysalide qui effectue sa mue.Elle quitte son enveloppe et sa dépouille tombe à ses pieds. Elle enjambe le cadavre et se met en route.
Elle sort nue de son appartement et descend les escaliers. Elle débouche sur le boulevard et marche. Rien ne bouge encore au front des palais. Les oiseaux dorment. La fraîcheur la saisit, la fait frissonner dans sa nudité. Dans le ciel, la lune s'estompe derrière la dentelle grise et lumineuse de l'aube.Elle marche nue. Elle est droite et sans hâte car elle veut éprouver sa nudité, le corps qui se déplie, la mise en mouvement de sa machine, toute sa musculature et l'ondulation de ses lignes. Elle marche. Les passants s'étonnent, les hommes s'esclaffent mais nul ne la retient, nul ne la dénonce, nul ne tente rien. On la laisse marcher nue dans la ville.
Elle marche longtemps.Elle marche devant moi, si légère et si droite que je brûle de la rejoindre sans bruit et de la saisir par les épaules. Elle fuit parmi les clochers et les mosquées et, courant  comme une clocharde, je la traque. Vers le soir enfin, je sens un peu son immense corps, ses nichons blancs éblouissants et sa colonne, la pente de ses reins, les fossettes et puis je tombe.
Lorsque je me relève, je découvre la jouissance et la mort qui dansent dans la nuit. De la femme nue, il ne reste qu'une voix arrivée du fond des volcans et des grottes arctiques.

jeudi 27 octobre 2011

Le square.

Je réussis malgré tout à faire quelques excursions au square.
Le square est un microcosme préservé. Il y a là tout un monde en miniature. Il y a toutes les veuves, les esseulées. Les maîtres et leurs chiens. Les amoureux, les essaims d'ados, les mères, les pères, les enfants, les malades mentaux, les sans domicile fixe, les apparentés, étrangers, érémistes, commerçants, boxeurs, retraités. Chacun son heure, ses rituels, ses espaces. 
Sur les bancs se tiennent un peu raides les femmes tristes, seules et tristes. Elles conversent doucement dans la lumière du soir qui vient irriguer d'ocre les pelouses et les pierres.
Le mercredi, il y en a beaucoup, d'enfants, dans ce square. Ils ont leur enclos avec un toboggan tagué, un toboggan rouge et jaune, des balançoires, pas de tourniquet, c'est trop dangereux un tourniquet de nos jours, il y a quelques montures à ressorts et autour les bancs où sont vissées les fesses des mamans qui papotent, se lèvent rarement ou alors seulement pour crier, interdire, séparer. C'est l'espace réservé à leurs ébats, aux enfants, qui hurlent et qui tournent, se tapent sur la tête, un espace clos par des barreaux, c'est plus pratique pour les mamans. Il y a un autre espace, tout en collines artificielles, les grands font du vélo ou du foot, du skate et aussi du patin.
Au square c'est bien, on trouve l'occasion de parler, ça ne coûte rien et on est dehors, sous les arbres. C'est plein d'étourneaux en automne et plein d'autres oiseaux le reste du temps, au square, en plein coeur de la ville assourdissante. Les frondaisons sont chahutées par le mistral, au printemps elles bruissent et libèrent des odeurs fleuries, en été, elles forment un havre de fraîcheur, traversées parfois en pleine canicule par un souffle inespéré.
J'ai donc fait connaissance avec les gens du square, ils sont devenus mes amis. Il y a Eliane, une grande et pâle quinquagénaire aux cheveux secs, elle porte des jupes et des robes d'un autre temps, elle est séparée mais non divorcée et son coeur est rongé par une rancoeur trouble et familiale. Il y a Caroline, qui a travaillé quarante deux ans à la poste, qui a consacré toute sa vie à son travail et aux hommes et qui se retrouve seule comme une pierre devant le poste TV qu'elle déteste, elle se force à regarder n'importe quel programme parce qu'elle ne peut plus lire, elle vide avec lenteur un verre de whisky et à chaque gorgée, ça bouillonne et ça crapahute, ça hurle dans son corps transi, elle dit si j'avais pas "Cochi" (le nom d'un horrible chien chinois qui l'a mordu hier parce qu'elle voulait l'empêcher de bouffer de la viande dans le cabas de sa voisine...) je ne sortirai plus du tout et surtout plus personne ne m'adresserait jamais jamais la parole. Il y a Huguette aussi, Huguette qui a perdu son mari et qui a pris un caniche  torturé dans une animalerie elle l'a appelé voyou mais voyou il est rescapé d'une cage et ne sait pas bouger alors il reste immobile dans sa cage invisible à côté d'Huguette sur le banc Huguette encore cagole Huguette pleine de strass et coquette encore Huguette Il y en a plein d'autres des amis sauf qu'en somme ils ne me racontaient rien mes amis, surtout rien d'important, drapés dans leur dignité. Alors j'ai fait une découverte déconcertante.
Un jour comme ça, je suis arrivée et j'ai parlé de mon bunker, j'ai dit comme ça sans détours qu'on me saisissait mon appartement, j'ai dit mon divorce et mon alcool, et mes gosses qui tournent mal et tout et tout...et là grand changement! tous les figurants du square ont jeté leurs masques et vrououmm! dans un grand soulagement et vrombissement ils ont déballé tous leurs vrais déboires à eux aussi, leurs frustrations, salissures, spoliations, cochonneries, désastres et j'en passe! Je compris que tous mes amis m'avaient trompée et qu'ils avaient passé leur temps, conjugué tous leurs efforts pour tout me cacher, pour piétiner leur linge sale tout au fond de leur bunker à eux, et que et que! cette contention était d'une telle violence qu'une fois le bouchon décapité, la cocotte explosait littéralement, libérant dans un vacarme de vapeur sifflante la somme des malheurs qu'ils s'étaient tant efforcés de celer, d'oublier, de juguler au fond du cul de sac en prenant bien soin de retirer l'échelle. Ce fut triste et pas très beau mais sur le coup, je les ai crus contents d'avoir pu me déballer tout ça.
Mais j'ai perdu mes seuls amis. Maintenant ils prennent la peine de m'éviter, tout honteux de leur sale confidence. Ils me regardent, me jettent des regards hostiles et courroucés comme si je les avais sali et qu'il fallait se garder de mes éclaboussures.
Alors je regarde les enfants dans leur parc. Les grands font du vélo, les petits jouent au sable et déambulent, un peu désorientés dans leur bunker, criant et riant à la fois. Leurs mères parfois, en de soudaines effractions, les secouent ou les frappent, les insultent pour les dresser, les préserver des salissures.

Excursion hors du bunker

Il existe des adages stupides, figés dans de petits écriteaux un peu bibliques genre "Aide toi et le ciel t'aidera". Il m'arrive de pleurer ce genre de phrase, comme ça, des heures, sans savoir pourquoi ni pour qui.
Il y a aussi des gens qui disent comme ça que quand on se trouve au fond d'un cul de sac, il faut trouver l'échelle, il y a toujours une échelle pour sortir, il suffit de se donner la peine de regarder autour de soi. Encastrée ferme dans mon bunker, j'ai regardé autour de moi. Il n'y a rien, rien que du noir, alors j'ai honte, je l'ai déjà dit. Je ne me suis pas tirée moi-même par les cheveux. Je n'ai pas tiré mes propres cheveux pour sortir du bunker. Quelqu'un m'a tendue la main. J'ai agrippé cette main le plus fort possible et j'ai décollé je crois quelques centimètres du sol en béton de mon bunker. C'était déjà surhumain. C'est vrai aussi que je suis lourde et qu'on n'y voyait rien. La main n'a pas cru à la sincérité de mes efforts, elle m'a lâchée et m'a laissée choir flop dans le trou. Mon corps a fait un grand bang sur le béton.
Cette tentative d'excursion hors du bunker m'a laissée un goût amer. Quand mon corps a fait un grand bang dans la coque vide, j'ai réalisé soudain la puissance de ma captivité. Je suis furieuse. Pourquoi me tendre la main, m'extirper un peu hors du bunker et me lâcher aussitôt. C'est une torture. Celui qu'on laisse dans son trou, ne ressent rien. Donnez lui un peu d'air, permettez lui de respirer quelques secondes et il commence à souffrir.

mercredi 12 octobre 2011

Mon bunker et moi.

Tout homme porte  un bunker en soi. Je porte mon bunker.
Mon bunker et moi nous nous promenons dans les rafales. Dans mon bunker, je suis un caillou, un couteau prêt à tuer. Le problème c'est que je ne peux pas en sortir, jaillir hors de mon bunker pour accomplir mes forfaits et rendre justice. Je ne peux pas sortir du bunker en me tirant moi-même par les cheveux. Il faudrait quelqu'un. Peut-être avec les mots, la pesanteur n'aura-t-elle plus cours et je pourrai quitter le bunker laissant mon empreinte moulée dans ses flancs, alors j'implorerai mon rêve et je voyagerai seule enfin. En attendant je serre mon couteau bien fort dans ma main contre mon torse et j'expérimente ma séquestration, je ronge mon frein, je souris à l'adversité et j'écoute le silence.
Mon bunker et moi nous sommes inséparables. Nous sommes ennemis aussi mais sans lui je n'aurais pas retrouvé ma trace. Car sans doute je fus avant lui. Mais il m'a ensevelie.
Alors nous nous promenons dans la ville. Nous nous promenons dans la campagne. Au square, un petit enfant tout petit a enlevé son tee-shirt. Sa mère hurle comme une truie:-Remets ce tee-shirt ou je te tue! L'enfant ne bouge pas. Elle compte:-Un! deux! trois! puis se précipite vers l'enfant, lui remet le tee-shirt. Elle passe l'encolure sur son petit cou et tire d'un coup sec, l'étrangle, le secoue et profère: -Si tu l'enlèves encore une fois je te coupe la tête! J'agrippe mon couteau, je voudrais aller tuer la mère mais mon bunker sourit, cligne des yeux et me retient.
A la campagne, les sentiers sont gorgés de limaces. Il y a une odeur rance d'herbe pourrie. Nos pieds clabaudent dans les flaques. Un homme me soulève contre l'arbre, me retourne sur le tronc et me pilonne dans le paysage. Je regarde mourir un scarabée versé sur le dos tandis que le bunker reste silencieux, tapi dans son abri.
Mon bunker et moi nous faisons l"amour aussi. Tantôt avec elle. Tantôt avec lui. Parfois tout seuls aussi. Avec elle, mon corps se décolle légèrement de son empreinte, elle est une créature mythologique qui possède  cette force, la force de m'arracher un peu de mon bunker. C'est une Méduse stupéfiante aux seins lourds éblouissants, elle est comme la mer, dense et mouvante mais comme elle, se retire parfois, et me laisse seule échouée sur mon rivage. Seule avec mon bunker.
Avec lui, je suis la spectatrice de la conception et de la construction du bunker. Je le regarde consolider sa structure, son impénétrabilité absolue, je le regarde calfeutrer les fissures, bloquer les issues, vérifier les systèmes de sécurité. Je suis bien à l'intérieur. J'aime mon ravisseur. Il est important que le bunker reste un bunker, un blockhaus aux murs de béton très épais. A l'intérieur je peux hurler et me mutiler avec mon couteau, il ne viendra jamais personne.

mardi 11 octobre 2011

Tout homme porte un bunker en soi.

J'étais une femme sûre de moi.
J'étais dans cette chambre d'hôtel rue saint Jacques. Les rideaux étaient vert sombre. Les draps blancs. D'une blancheur professionnelle, impressionnante pour quelqu'un qui n'arrivait jamais à garder blanc le blanc.Sans le vouloir, vu l'exiguïté de la chambre, je me suis assise à plusieurs reprises au bord du lit.Et c'est là- plus tard, alors que je cherchais la télécommande de la TV, que j'ai aperçu distinctement les taches rouges. C'était mon sang.
Dans cette chambre que j'avais payé trop cher, dans cette chambre impersonnelle et accoutumée aux clients peu soucieux de préserver le blanc immaculé de ses draps, dans cette chambre qui n'était pas la mienne et dont je m'en foutais, dans cette chambre j'ai été prise d'une panique insensée.C'était comme si j'étais mon propre assassin et que je venais juste de me tuer, il fallait donc faire disparaître au plus vite les traces de mon crime.
Je saisis une serviette, la mouillai et tentai d'essuyer les unes après les autres les preuves de mon forfait. A force de frotter, les taches ont pâli, sont devenues roses exsangues et comme aspirées, mais elles ne disparaissaient pas. Au contraire, elles étaient un peu plus fleurs, un peu plus voraces, encore plus incontestables.
Alors, pour la première fois de ma vie, j'ai eu honte. Honte d'être une femme, honte de mon corps, de mes cuisses, de mes seins, honte de mon outrecuidance, de ma vanité, de mon assurance. En quelques secondes je suis devenue humble.
Alors j'ai quitté la chambre. Je suis descendue voir le gardien de nuit. Cela m'a coûtée parce que j'étais devenue humble et j'avais tellement honte et je n'osais pas l'apostropher ni le déranger et je suis restée là, bêtement devant son comptoir tandis qu'il ne me voyait pas. Il était occupé à lire.Il devait être deux heures du matin. En plein Paris et ses feux de bengale, à l'abri d'une petite lampe, le gardien de nuit lisait. J'ai chuchoté finalement: excusez moi,monsieur, vous n'auriez pas une cellule plus petite pour moi? Et sans lever la tête, en lisant, il a dit: tout homme porte son bunker avec soi. Vous êtes chez vous. Vous pouvez aller où bon vous semble. Mais sortir vous ne pouvez pas. J'ai reculé mon corps et j'ai fait demi tour. J'ai erré quelques instants dans un couloir feutré, la lumière a disparu et j'ai tâtonné dans le noir.Ma honte fut encore plus grande de ne pas trouver l'interrupteur.
Depuis j'ai appris à arpenter mon propre bunker. Je me suis familiarisée avec mes appartements.Quand je dors, c'est dans une chambre close et fraîche en plein coeur de l'été. Quand j'ouvre les yeux, le soleil pénètre à flots dans mon bunker et je suis gaie. Parfois une averse le frappe, les rafales ébranlent les murs et on entend bringuebaler les miroirs.