Sélection du message

Der Schnee.

Du vent. De la neige. Putain. Rien d'humain. Tu écris quoi ? Depuis des mois, tu n'en sais rien. Tu as rencontré son visage. Son si...

mardi 27 décembre 2011

Bunker Night.

Seule dans la Nuit de l'Autre va paraître prochainement. On pourrait dire que c'est le récit d'une jeune fille qui devient femme et putain, celui d'une autre qui perd son fils, l'intrigue de la traque d'un trafiquant de drogue ou l'histoire d'une femme qui en rencontre une autre. Mais c'est avant tout une partition où chaque mesure est une vague. La vague déferle, vient lécher la grève un peu plus loin, mourir autrement à chaque fois. En voici quelques extraits.

Derrière elle, la mer galope dans son obscurité rugissante et quand le sperme dégouline du membre, il n'y a aucune tendresse, rien, nulle part, et tout tombe sur le sable; il y a l'homme qui se reculotte, referme d'un zip sec et raclant sa braguette. (...) Elle s'accroupit, ferme les yeux. Il tire sur la tête, il l'égorge, coupe et détache les cuisses; il la tue.(...) J'ai laissé la petite fille se faire violer, se faire assassiner et retourner tout au fond du bunker. Je viendrai dans sa nuit quand les hommes seront endormis, morts peut-être et je ne te laisserai plus jamais dans le désert d'un sexe détruit, abandonné à sa propre surdité hurlante.(...) Il l'installe dans un appartement qui surplombe la mer. Le vent, les odeurs d'algue et d'iode entrent par les fenêtres. Devant la mer se tient une fête foraine. (...) Seule dans cet appartement, elle écoute la chaleur qui cogne...Le paysage est fait de quelques lignes droites et serrées entre terre et ciel. Elle ouvre un peu les yeux, lève la tête et voit la frange sale de l'écume sur la laisse de la mer. D'une grande profondeur, quelque chose remonte lentement. Elle cligne des yeux dans le vibrato de la chaleur: il y a une immensité plate, vide et palpitante: c'est la mer.(...) Elle se pelotonne contre moi, je glisse ma main entre ses jambes et doucement, je la baise. Je la caresse et je sens un début de calme naître sous ma main. Elle en veut plus qu'elle ne peut supporter. (...) Elle comprend qu'elle avait attendu exactement ça. Un homme. Et puis un autre. Les hommes les uns après les autres.(...) Elle attend assise sur le le lit japonais, les yeux agrandis par le froid de l'aube sur la mer, le cri fou d'une mouette traversant le ciel.

dimanche 30 octobre 2011

Une femme nue marche dans la rue.

Depuis peu, les commandes affluent au bunker.  Ma spécialité professionnelle est la réalisation des rêves de mes patients, pardon, de mes clients.Un rêve est posté.  Je satisfais la demande. Chaque rêve est référencé.
Le rêve O748: Une femme nue marche dans la rue. Cette femme marche devant moi et je n'arrive pas à la saisir. Mais je sais qu'elle m'emporte ailleurs.
Je réfléchis assez longuement à ce que signifie marcher nue. Être nue, c'est être humble. Sans protection, sans fard, sans artifices, faux-fuyants mais aussi sans honte. Marcher cependant peut-être conquérant, l'expression d'une souveraineté. Humble et souveraine, elle marcherait. Elle décide alors de jeter tout ce qui l'habille, la sépare, la préserve. Elle jette les atours, les bijoux, les colifichets. Elle jette les certitudes, les coutumes, les mots appris.Elle est une chrysalide qui effectue sa mue.Elle quitte son enveloppe et sa dépouille tombe à ses pieds. Elle enjambe le cadavre et se met en route.
Elle sort nue de son appartement et descend les escaliers. Elle débouche sur le boulevard et marche. Rien ne bouge encore au front des palais. Les oiseaux dorment. La fraîcheur la saisit, la fait frissonner dans sa nudité. Dans le ciel, la lune s'estompe derrière la dentelle grise et lumineuse de l'aube.Elle marche nue. Elle est droite et sans hâte car elle veut éprouver sa nudité, le corps qui se déplie, la mise en mouvement de sa machine, toute sa musculature et l'ondulation de ses lignes. Elle marche. Les passants s'étonnent, les hommes s'esclaffent mais nul ne la retient, nul ne la dénonce, nul ne tente rien. On la laisse marcher nue dans la ville.
Elle marche longtemps.Elle marche devant moi, si légère et si droite que je brûle de la rejoindre sans bruit et de la saisir par les épaules. Elle fuit parmi les clochers et les mosquées et, courant  comme une clocharde, je la traque. Vers le soir enfin, je sens un peu son immense corps, ses nichons blancs éblouissants et sa colonne, la pente de ses reins, les fossettes et puis je tombe.
Lorsque je me relève, je découvre la jouissance et la mort qui dansent dans la nuit. De la femme nue, il ne reste qu'une voix arrivée du fond des volcans et des grottes arctiques.

jeudi 27 octobre 2011

Le square.

Je réussis malgré tout à faire quelques excursions au square.
Le square est un microcosme préservé. Il y a là tout un monde en miniature. Il y a toutes les veuves, les esseulées. Les maîtres et leurs chiens. Les amoureux, les essaims d'ados, les mères, les pères, les enfants, les malades mentaux, les sans domicile fixe, les apparentés, étrangers, érémistes, commerçants, boxeurs, retraités. Chacun son heure, ses rituels, ses espaces. 
Sur les bancs se tiennent un peu raides les femmes tristes, seules et tristes. Elles conversent doucement dans la lumière du soir qui vient irriguer d'ocre les pelouses et les pierres.
Le mercredi, il y en a beaucoup, d'enfants, dans ce square. Ils ont leur enclos avec un toboggan tagué, un toboggan rouge et jaune, des balançoires, pas de tourniquet, c'est trop dangereux un tourniquet de nos jours, il y a quelques montures à ressorts et autour les bancs où sont vissées les fesses des mamans qui papotent, se lèvent rarement ou alors seulement pour crier, interdire, séparer. C'est l'espace réservé à leurs ébats, aux enfants, qui hurlent et qui tournent, se tapent sur la tête, un espace clos par des barreaux, c'est plus pratique pour les mamans. Il y a un autre espace, tout en collines artificielles, les grands font du vélo ou du foot, du skate et aussi du patin.
Au square c'est bien, on trouve l'occasion de parler, ça ne coûte rien et on est dehors, sous les arbres. C'est plein d'étourneaux en automne et plein d'autres oiseaux le reste du temps, au square, en plein coeur de la ville assourdissante. Les frondaisons sont chahutées par le mistral, au printemps elles bruissent et libèrent des odeurs fleuries, en été, elles forment un havre de fraîcheur, traversées parfois en pleine canicule par un souffle inespéré.
J'ai donc fait connaissance avec les gens du square, ils sont devenus mes amis. Il y a Eliane, une grande et pâle quinquagénaire aux cheveux secs, elle porte des jupes et des robes d'un autre temps, elle est séparée mais non divorcée et son coeur est rongé par une rancoeur trouble et familiale. Il y a Caroline, qui a travaillé quarante deux ans à la poste, qui a consacré toute sa vie à son travail et aux hommes et qui se retrouve seule comme une pierre devant le poste TV qu'elle déteste, elle se force à regarder n'importe quel programme parce qu'elle ne peut plus lire, elle vide avec lenteur un verre de whisky et à chaque gorgée, ça bouillonne et ça crapahute, ça hurle dans son corps transi, elle dit si j'avais pas "Cochi" (le nom d'un horrible chien chinois qui l'a mordu hier parce qu'elle voulait l'empêcher de bouffer de la viande dans le cabas de sa voisine...) je ne sortirai plus du tout et surtout plus personne ne m'adresserait jamais jamais la parole. Il y a Huguette aussi, Huguette qui a perdu son mari et qui a pris un caniche  torturé dans une animalerie elle l'a appelé voyou mais voyou il est rescapé d'une cage et ne sait pas bouger alors il reste immobile dans sa cage invisible à côté d'Huguette sur le banc Huguette encore cagole Huguette pleine de strass et coquette encore Huguette Il y en a plein d'autres des amis sauf qu'en somme ils ne me racontaient rien mes amis, surtout rien d'important, drapés dans leur dignité. Alors j'ai fait une découverte déconcertante.
Un jour comme ça, je suis arrivée et j'ai parlé de mon bunker, j'ai dit comme ça sans détours qu'on me saisissait mon appartement, j'ai dit mon divorce et mon alcool, et mes gosses qui tournent mal et tout et tout...et là grand changement! tous les figurants du square ont jeté leurs masques et vrououmm! dans un grand soulagement et vrombissement ils ont déballé tous leurs vrais déboires à eux aussi, leurs frustrations, salissures, spoliations, cochonneries, désastres et j'en passe! Je compris que tous mes amis m'avaient trompée et qu'ils avaient passé leur temps, conjugué tous leurs efforts pour tout me cacher, pour piétiner leur linge sale tout au fond de leur bunker à eux, et que et que! cette contention était d'une telle violence qu'une fois le bouchon décapité, la cocotte explosait littéralement, libérant dans un vacarme de vapeur sifflante la somme des malheurs qu'ils s'étaient tant efforcés de celer, d'oublier, de juguler au fond du cul de sac en prenant bien soin de retirer l'échelle. Ce fut triste et pas très beau mais sur le coup, je les ai crus contents d'avoir pu me déballer tout ça.
Mais j'ai perdu mes seuls amis. Maintenant ils prennent la peine de m'éviter, tout honteux de leur sale confidence. Ils me regardent, me jettent des regards hostiles et courroucés comme si je les avais sali et qu'il fallait se garder de mes éclaboussures.
Alors je regarde les enfants dans leur parc. Les grands font du vélo, les petits jouent au sable et déambulent, un peu désorientés dans leur bunker, criant et riant à la fois. Leurs mères parfois, en de soudaines effractions, les secouent ou les frappent, les insultent pour les dresser, les préserver des salissures.

Excursion hors du bunker

Il existe des adages stupides, figés dans de petits écriteaux un peu bibliques genre "Aide toi et le ciel t'aidera". Il m'arrive de pleurer ce genre de phrase, comme ça, des heures, sans savoir pourquoi ni pour qui.
Il y a aussi des gens qui disent comme ça que quand on se trouve au fond d'un cul de sac, il faut trouver l'échelle, il y a toujours une échelle pour sortir, il suffit de se donner la peine de regarder autour de soi. Encastrée ferme dans mon bunker, j'ai regardé autour de moi. Il n'y a rien, rien que du noir, alors j'ai honte, je l'ai déjà dit. Je ne me suis pas tirée moi-même par les cheveux. Je n'ai pas tiré mes propres cheveux pour sortir du bunker. Quelqu'un m'a tendue la main. J'ai agrippé cette main le plus fort possible et j'ai décollé je crois quelques centimètres du sol en béton de mon bunker. C'était déjà surhumain. C'est vrai aussi que je suis lourde et qu'on n'y voyait rien. La main n'a pas cru à la sincérité de mes efforts, elle m'a lâchée et m'a laissée choir flop dans le trou. Mon corps a fait un grand bang sur le béton.
Cette tentative d'excursion hors du bunker m'a laissée un goût amer. Quand mon corps a fait un grand bang dans la coque vide, j'ai réalisé soudain la puissance de ma captivité. Je suis furieuse. Pourquoi me tendre la main, m'extirper un peu hors du bunker et me lâcher aussitôt. C'est une torture. Celui qu'on laisse dans son trou, ne ressent rien. Donnez lui un peu d'air, permettez lui de respirer quelques secondes et il commence à souffrir.

mercredi 12 octobre 2011

Mon bunker et moi.

Tout homme porte  un bunker en soi. Je porte mon bunker.
Mon bunker et moi nous nous promenons dans les rafales. Dans mon bunker, je suis un caillou, un couteau prêt à tuer. Le problème c'est que je ne peux pas en sortir, jaillir hors de mon bunker pour accomplir mes forfaits et rendre justice. Je ne peux pas sortir du bunker en me tirant moi-même par les cheveux. Il faudrait quelqu'un. Peut-être avec les mots, la pesanteur n'aura-t-elle plus cours et je pourrai quitter le bunker laissant mon empreinte moulée dans ses flancs, alors j'implorerai mon rêve et je voyagerai seule enfin. En attendant je serre mon couteau bien fort dans ma main contre mon torse et j'expérimente ma séquestration, je ronge mon frein, je souris à l'adversité et j'écoute le silence.
Mon bunker et moi nous sommes inséparables. Nous sommes ennemis aussi mais sans lui je n'aurais pas retrouvé ma trace. Car sans doute je fus avant lui. Mais il m'a ensevelie.
Alors nous nous promenons dans la ville. Nous nous promenons dans la campagne. Au square, un petit enfant tout petit a enlevé son tee-shirt. Sa mère hurle comme une truie:-Remets ce tee-shirt ou je te tue! L'enfant ne bouge pas. Elle compte:-Un! deux! trois! puis se précipite vers l'enfant, lui remet le tee-shirt. Elle passe l'encolure sur son petit cou et tire d'un coup sec, l'étrangle, le secoue et profère: -Si tu l'enlèves encore une fois je te coupe la tête! J'agrippe mon couteau, je voudrais aller tuer la mère mais mon bunker sourit, cligne des yeux et me retient.
A la campagne, les sentiers sont gorgés de limaces. Il y a une odeur rance d'herbe pourrie. Nos pieds clabaudent dans les flaques. Un homme me soulève contre l'arbre, me retourne sur le tronc et me pilonne dans le paysage. Je regarde mourir un scarabée versé sur le dos tandis que le bunker reste silencieux, tapi dans son abri.
Mon bunker et moi nous faisons l"amour aussi. Tantôt avec elle. Tantôt avec lui. Parfois tout seuls aussi. Avec elle, mon corps se décolle légèrement de son empreinte, elle est une créature mythologique qui possède  cette force, la force de m'arracher un peu de mon bunker. C'est une Méduse stupéfiante aux seins lourds éblouissants, elle est comme la mer, dense et mouvante mais comme elle, se retire parfois, et me laisse seule échouée sur mon rivage. Seule avec mon bunker.
Avec lui, je suis la spectatrice de la conception et de la construction du bunker. Je le regarde consolider sa structure, son impénétrabilité absolue, je le regarde calfeutrer les fissures, bloquer les issues, vérifier les systèmes de sécurité. Je suis bien à l'intérieur. J'aime mon ravisseur. Il est important que le bunker reste un bunker, un blockhaus aux murs de béton très épais. A l'intérieur je peux hurler et me mutiler avec mon couteau, il ne viendra jamais personne.

mardi 11 octobre 2011

Tout homme porte un bunker en soi.

J'étais une femme sûre de moi.
J'étais dans cette chambre d'hôtel rue saint Jacques. Les rideaux étaient vert sombre. Les draps blancs. D'une blancheur professionnelle, impressionnante pour quelqu'un qui n'arrivait jamais à garder blanc le blanc.Sans le vouloir, vu l'exiguïté de la chambre, je me suis assise à plusieurs reprises au bord du lit.Et c'est là- plus tard, alors que je cherchais la télécommande de la TV, que j'ai aperçu distinctement les taches rouges. C'était mon sang.
Dans cette chambre que j'avais payé trop cher, dans cette chambre impersonnelle et accoutumée aux clients peu soucieux de préserver le blanc immaculé de ses draps, dans cette chambre qui n'était pas la mienne et dont je m'en foutais, dans cette chambre j'ai été prise d'une panique insensée.C'était comme si j'étais mon propre assassin et que je venais juste de me tuer, il fallait donc faire disparaître au plus vite les traces de mon crime.
Je saisis une serviette, la mouillai et tentai d'essuyer les unes après les autres les preuves de mon forfait. A force de frotter, les taches ont pâli, sont devenues roses exsangues et comme aspirées, mais elles ne disparaissaient pas. Au contraire, elles étaient un peu plus fleurs, un peu plus voraces, encore plus incontestables.
Alors, pour la première fois de ma vie, j'ai eu honte. Honte d'être une femme, honte de mon corps, de mes cuisses, de mes seins, honte de mon outrecuidance, de ma vanité, de mon assurance. En quelques secondes je suis devenue humble.
Alors j'ai quitté la chambre. Je suis descendue voir le gardien de nuit. Cela m'a coûtée parce que j'étais devenue humble et j'avais tellement honte et je n'osais pas l'apostropher ni le déranger et je suis restée là, bêtement devant son comptoir tandis qu'il ne me voyait pas. Il était occupé à lire.Il devait être deux heures du matin. En plein Paris et ses feux de bengale, à l'abri d'une petite lampe, le gardien de nuit lisait. J'ai chuchoté finalement: excusez moi,monsieur, vous n'auriez pas une cellule plus petite pour moi? Et sans lever la tête, en lisant, il a dit: tout homme porte son bunker avec soi. Vous êtes chez vous. Vous pouvez aller où bon vous semble. Mais sortir vous ne pouvez pas. J'ai reculé mon corps et j'ai fait demi tour. J'ai erré quelques instants dans un couloir feutré, la lumière a disparu et j'ai tâtonné dans le noir.Ma honte fut encore plus grande de ne pas trouver l'interrupteur.
Depuis j'ai appris à arpenter mon propre bunker. Je me suis familiarisée avec mes appartements.Quand je dors, c'est dans une chambre close et fraîche en plein coeur de l'été. Quand j'ouvre les yeux, le soleil pénètre à flots dans mon bunker et je suis gaie. Parfois une averse le frappe, les rafales ébranlent les murs et on entend bringuebaler les miroirs.


mercredi 14 septembre 2011

Rentrée in the bunker

Vingt ou trente ans de taule c'est pas rien ! Turbiner au bunker c'est plus de la routine, c'est extravagant !  On fait même plus les ennuyeux pots de la rentrée (où pourtant la horde a rasé le buffet, une razzia  sur le gratuit ! ah les profs !) on se radine après tranquillou, on fait partie des murs. Le proviseur on le flagorne plus vraiment, d'ailleurs l'administration elle aime pas trop les habitués, c'est des chieurs, on peut plus rien exiger plus rien négocier i sont à bout i zont trop souffert... d'ailleurs le nôtre de caporal (jambes de grue, quéquette disparue) il les pousse à la porte les vioques, les râleux syndicalistes, les vieilles putes grimées, les indécrottables dinosaures qui font durer les conseils de classe EXPRÈS ! les salopes... dans ce bunker aussi c'est comme ailleurs c'est la jeunesse qui triomphe, les mini-jupes et les assistantes qui arrivent de l'étranger, elles gloussent caracolent dans les couloirs, elles ont la cote !  Invitée dans le bureau du fantoche pas de souci jeune fille.
Et la taule, je vous dis que ça, on s'y attache ! on s'y arrime sec au gros paquebot ! Il a sombré dans les quartiers Nord juste sous les embruns des barres de la Rose, on le distingue tapi dans sa débâcle quand on débouche à Malpassé, là où ça passe mal, dans les rues coupe-gorge, elles se font trousser les midinettes et les boutonneux : portables, i-phone, i-pad, tout y passe!... surtout si vous êtes lookés arts appliqués ou intellos, la dégaine cool, celle des emmanchés, rien compris à la jungle ceux-là, y'a pas de pitié pour les abrutis ! Pasque nous on est là, chez nous et que là, dans ce boxon, c'est de là qu'on est pas prêts de nous déloger. Ah ça mais. Inexpropriables qu'on est ! Le bunker c'est à nous, on nous y a parqués on a bétonné on a calfeutré on a envoyé quelques jeunes profs se faire rincer, non, pour sûr, y coule dans not'sang ce bunker : pas touche ! Et moi la prof embarquée dans cette galère j'ai ramé à fond et maintenant moi aussi j'en suis, je suis bien avec les galériens des quartiers nord, faut dire qu'à l'ombre des grands mots sur la délinquance l'intégration ratée et la misère des banlieues, bien planqués nous on se bidonne à fond!
C'est pas une seconde vingt ans ! Les pires rigolades. Les strip tease en plein cours. Les pires avanies. Y zont dansé sur mon corps les bébés de la jungle ! On s'est bien marrés avec les gosses, la racaille, les pestiférés de la zone, maghrébins, marocains, tunisiens, comoriens, sénégalais, capverdiens, y'avait plus que du bronzé à la fin ! i me le disait comme ça les humbles La France Madame on la nique, y'a pas d'excuse. À la coule qu'on la baise encore la France et tout son pataquès de connerie de charles de Gaulle. On vous zen veut pas à vous Madame d'ailleurs zetes pas bien française vous non plus vous avez une tronche un peu boche madame et puis zetes quand meme la plus sexy. Mais la vacharde de CPE et toutes les feignasses et racistes pareil ! ah ça oui ! ils vous remontent les bretelles les mioches, on triche pas avec eux. Ceux qui ont essayé i ont laissé toutes leurs plumes, les démagos les faux copains, les réprimants, les moralistes, les tire au flanc ils en bavent ! Une classe ça fait le bourdin, c'est corrida. Gaffe aux frusques, gaffe au cartable, gaffe à tout. 
À part ça le paquebot, c'est un rafiot. Percé de toutes parts. Quand il pisse à Marseille c'est pas des jours comme à Paris c'est violent comme un coup de poing et les autos à la moindre neige elles perdent le ciboulot, le lycée quand il pleut, c'est  une vraie passoire, il prend l'eau dans tous ses plafonds défoncés dégouline le long des rideaux déchiquetés évidemment on dit c'est toute cette racaille mais nous on sait que c'est eux les voleurs et les détourneurs, à tous les étages faut voir ça, ce que c'est rapace les adultes et les honnêtes gens ! les profs c'est eux, à les voir se jeter sur le buffet on comprend qu'ils dévalisent aussi le CDI... N'empêche on plane en pleine littérature, on est au paradis avec beckett celine ou bot de l'air on prend l'air ! une vraie défonce! et on vous emmerde.  Vraiment Madame on s'en tamponne on va lire un peu de vot'livre et on va danser, vous zinquiétez pas pour le bacc, on l'aura !...  Le pire c'est qu'ils l'ont eu ! et chaque jour je vais prendre ma dose dans notre bunker pourri, notre trésor caché. Ma dose de survie, de vie, de sourire et de beauté.

lundi 25 juillet 2011

Bunkerbouff''

Quand je n'écris pas, je mange. Quand je n'écris pas, j'attends. En attendant, je mange. Je grignote. Je tourne boulimique.
Et je n'ai pas faim. Je n'ai pas faim et je mange. Telle est la logique.
Je ne connais pas la faim. En Somalie oui, ils pourraient la décrire la faim, s'ils en avaient la force. En France, je mange, j'ingère, j'engloutis, je remplis. Je remplis quoi? Je remplis le désert. Le désert des pages qui ne s'écrivent pas, le désert des mots et des corps qui ne se touchent pas.
C'est la folie de la mastication... Mastiquer, remplir, caler. L'estomac lourd calme l'anxiété. Manger ne calme pas ma faim, manger calme mon angoisse de ne rien écrire. Sac à foutre, sac à merde, sac à vin. Point. A la ligne.
Le trou au milieu pourtant persiste et signe, creuse, creuse sa béance, l'absence de plénitude, la panse croit se remplir et c'est un trou où tout fout le camp. Sarabande et débandade! Où c'est qu'ils se barrent les aliments? Tous les aliments, fromages, pains, burgers, saucisses, frites, gâteaux et viennoiseries, mignardises et friandises, où? Merde ! Où ?
Je me calfeutre dans ma graisse. Je suis bien au centre. Isolée, blindée dans mon blokaus. Bien calée à l'abri des rugissements et des trahisons. Rien ni personne ne peut m'atteindre.
Faut dire que j'ai été à bonne école. À Normale Sup on bâfrait comme des malades, une honte comparé à ce que pouvait s'offrir les autres étudiants, les autres, les nuls, les recalés du concours! Et puis je suis marquée à vie par la teutonne boustifaille, rien à envier à Gargantua ! Avec les vieux en Elsass, la sarabande des mâchoires a clabaudé sa transe, toute nourrisson j'ai été bercée dedans, pétrie, vautrée dans les orgies des palais! mon frère jumeau i crispait ses poings et entrait en fureur si Mutter avait le toupet de ne pas passer mon tour de sa cuillère de purée maison! Ah ça! Mémorable les fureurs famines, on rigole pas avec la pitance !
A table, un autel plus que sacré en Alsace, on entendait que les slurps et les schwings des babines, le jus dégoulinait des mentons dans les bavoirs, j'écoutais la divine malaxe dans les bouches, les fours à broyer, à engloutir les saucisses, les patates et le chou bernique! les salamis, les paupiettes, les grumbäre, les kechle et les kougelhopfs !  Et le Speck ! le speck ach so ! Ja ! Il y avait le schmirrwurst aussi qu'on schmirrait sur les tartines ah! on en louchait  de délectation, de joie, de pure joie! Festin, orgasme des papilles...Les Flammkuche aussi hein et les Wädele et les Quetsches ah ça oui! les Bettelmann et les Quetsches! Le concert des zygomatiques de la boustifaille, vrai tohu bohu dans le tic tac de la pendule, tout le fatras de la machinerie des estomacs! Pas la littérature à l'estomac, non, malheureuse, la bouffe, la bonne bouffe bien de chez nous, ma chérie, ma cochonne.
Les yeux de mes progéniteurs, ils en devenaient fantasques de débauche culinaire, ils s'écarquillaient de folie, ils devenaient fixes et vampires à cause de la passion aveugle de manger. Ils se surveillaient du coin de l'oeil, chacun à se lorgner bâfrer et espérer que l'autre en crève, que le bide explose, que la panse expire, Schatz t'en reprendra bien un peu, de ma soupe, je flatte ton cholestérol, distille le venin de glucides et de graisses, la grande bouffe, jour après jour concoctée, un labeur de titan dans les cuisines devant les fourneaux, une tâche épique, gargantuesque !
C'est pas des estomacs ! Des usines plutôt. Des estomacs d'autruche à digérer le fatras, à lamper le fond des gamelles. Le paternel, il léchait même l'assiette, histoire de la faire tourner bourrique sa moitié! elle en tournait de l'oeil de rage à le regarder faire, lécher avec minutie, de sa large langue trouée, d'un bout à l'autre de l'assiette de porcelaine blanche, il la léchait comme ça, comme on fait une patience et puis il la posait, content le vieux, un rien revanchard, avec un sourire à son épouse déconfite. Un peu de confiture Schatz ! là! accrochée à ta barbe rousse...
Alors moi, calfeutrée dans mes chairs, j'ignore tranquillement mon embonpoint. C'est pas de ma faute ! Mon corps est une carapace, un bunker de douceur et de béton. Un bon coup croyez moi. Dans cette masse qui est mienne, rien ne me touche, tout achoppe, attaques, engeances, infamies, insultes, que nenni !
Hier pourtant un type m'a dit grosse vache et ça m'a un peu vexée quand même..et puis au supermarché, au détour d'un rayon de charcuterie, j'ai soudain aperçu un mastodonte dans une glace en face de moi, je crois que c'était moi mais bon, ça n'a duré qu'un bref instant.

jeudi 7 juillet 2011

Un été bunker

Tu sombres dans la langueur de l'été, sa chaleur qui cogne, ton corps trop lourd ne veut plus bouger. Dans ton bunker, tu dors, tu regardes les écrans, tu manges du saint Moret, tu hurles. Dans le bunker, elle dort, elle fume, elle écoute son ventre gargouiller et puis se taire. Il n'y a plus rien à manger. 
Elle est couchée en chien de fusil, assoupie, ahurie dans la chaleur. D'une grande profondeur,il y a  cette chose qui remonte lentement. A travers le battement de ses tempes, elle entend la rumeur des distances traversées. Quelque chose est congestionné, qui remue difficilement, se déplie et gigote doucement. On pourrait croire que c'est le désir.
Du bunker, de ses hublots elle la voit dans le dehors caniculaire. C'est un miroitement fauve sous l'indigo. Des vapeurs cristallines entre les lignes droites du ciel, de la terre et de la mer. Son corps blanc flamboie dans la lumière, ses seins sont éclatants, elle est debout, dressée seule dans l'univers. La chose en elle voudrait surgir, courir à sa rencontre, mais elle ne bouge pas. Elle retourne au sol dur du bunker, se couche en boule, se rendort..
La femme aux seins blancs et lourds reste sur la plage.Une brise pulpeuse cingle ses bras, son corps nu. Le soleil brûle, elle cligne des yeux dans le vibrato de la chaleur, écarte les cuisses, soumise à la torture, piquée dans la braise. Le soleil incandescent continue de marteler sa brûlure, elle est échouée sur la grève et il y a cette immensité plate, vide et palpitante. La mer.
La mer devant le bunker. Le corps est long et lisse, épinglé dans la lumière. Il veut le viol du soleil, la perte, l'oubli. Les lignes vibrent comme des flaques d'essence. Tu restes à l'ombre du bunker, hallucinée de lâcheté, impuissante à le quitter et la chose en toi replonge dans l'obscurité, jugulée tout au fond, tout au fond du bunker. Tant pis pour toi.

samedi 11 juin 2011

Le bunker et le vieillard

Je venais de publier mon premier livre.
J'avais très peu de lecteurs.
J'avais fait une photocopie couleur de la première et de la quatrième de couverture. Je l'avais scotchée sur la machine à café de la salle des profs, un bunker comme un autre. Et dans celui-ci tout se passe devant la machine à café.
Une fois le truc collé j'ai pensé tout le monde va le voir. J'ai attendu. J'ai croisé des collègues une heure ou quelques jours plus tard. A ma vue, ils piquent du nez. Je suis transparente. Ils froncent subitement le regard et s'esclaffent à la vue d'un autre collègue : Tiens ? Comment vas tu ? 
Ils se détournent. Je suis biffée. Raturée. Exclue. Je suis exténuée. Je ferme les yeux un instant. En les fermant, je réalise que je voulais les fermer depuis longtemps, que mon épuisement provient de cette habitude absurde de garder les yeux ouverts. Ou de me taire. Si violemment.
Donc j'avais beau les guetter de toutes mes forces, il n'y avait pas un lecteur à l'horizon. Juste un vieillard.
Dans mon immeuble, le monsieur du premier étage avait insisté pour l'acheter. Il m'avait dit : vous viendrez me faire une dédicace ?
Il s'appelait Monsieur Poursines. C'était un médecin à la retraite depuis bien longtemps et il vivait là avec son épouse. Un jour, alors que je sortais promener mon labrador, je l'avais aperçu sur le seuil de son appartement, violemment étreint par une petite femme, toute petite et toute sèche. De ses deux bras maigres elle le serrait contre elle comme s'il partait pour toujours alors qu'il partait simplement faire une course. Sa femme ne quittait plus leur appartement, ses os étaient si fragiles. Sa maigre silhouette s'était élancée dans ses bras à lui et elle l'embrassait avec frénésie tout en murmurant: reviens vite,mon amour. Et elle caressait convulsivement son crâne de ses petits doigts osseux. Reviens vite, mon amour.
Cette femme de quatre vingt ans s'était jetée dans ses bras comme une jeune fiancée qui a le coeur plein d'espérance.
Mr Poursines n'était pas beau. Il était aussi vieux qu'elle et paraissait encore plus vieux. Le crâne complètement dégarni, la peau maculée de tâches noires ou bleues, les mains tremblantes. Tout son corps était agité de tremblements visibles: sans doute Parkinson le frappait-il de plein fouet. Il avait pourtant un visage avenant et gai, un visage rayonnant. C'était un de ces couples octogénaires que j'observais parfois dans la rue, un couple éternel, jamais divorcé, abandonné de tous leurs enfants et qui trottinait enlacés, unis dans un monde indifférent et dur, ils se soutenaient à grand renfort de gestes tendres, une énergie puisée dans le reste de leurs forces pour franchir ensemble la porte de la mort.
Un jour, elle chute de son lit et se casse la hanche. Une ambulance vient la chercher, elle meurt quelques semaines plus tard. Resté seul dans son appartement, Mr Poursines meurt à son tour, quelques mois après son épouse.
Ce fut dans l'intervalle de ces quelques mois de solitude qu'il me téléphona pour me demander de venir dans son appartement  lui dédicacer mon livre.
C'était une fin d'après midi d'hiver, la lumière déclinait. J'étais triste. J'avais somnolé toute la journée dans mon salon, en proie à la solitude glacée d'une épouse délaissée. Mon mari partageait notre domicile mais je ne le voyais que rarement. Lorsque, par hasard, il déboulait en coup de vent, je me surprenais à le suivre du regard comme on suit du regard un étranger. Quelqu'un avec qui on est censé partager sa vie et qu'on ne connaît pas. Malgré les enfants, les années, les rapports sexuels et les courses au supermarché.
Je frappe à sa porte. J'attends. Son visage s'efface comme pour s'excuser, il clopine devant moi et m'explique qu'il ne vit désormais plus que dans cette chambre.
Je découvre son bunker. Il n'y a qu'un mètre du lit à son bureau. Je pense à la chanson de Brel : du lit à la fenêtre et puis du lit au lit. L'agencement des objets sur son bureau trahit encore une intense activité intellectuelle, ses rituels immuables: une loupe, un coupe-papier, des piles de feuillets sous des presse-papiers, des factures, des coupures de journaux, des mots croisés, une gomme, une paire de ciseaux, un crayon à papier fuselé, un taille-crayon et aussi, un encrier, un porte-plume. Tous ces accessoires d'écolier sont soigneusement rangés, ses mains s'agitent, veuillez excuser le désordre, il s'immobilise, tremblant de tous ses membres sur ces reliques. Une odeur particulière règne, pas désagréable non, juste un peu rance, une odeur de bois mort. Sur le lit, je vois mon livre ouvert, posé sur sa tranche. Il dit: voyez vous, je lis, j'ai lu. Il ajoute: je m'arrête souvent. Cela m'émeut trop. Alors je pleure. C'est bête.
Il vient s'asseoir à côté de moi sur le lit. Sa proximité est infernale et douce. Ma tête surmonte son crâne un peu abaissé, je vois les tâches, je sens une odeur de nourrisson, ses mains tremblent. J'ai envie de le prendre dans mes bras et je réalise que ce désir n'est pas maternel mais érotique. 
J'embrasse sa tête chauve, je lèche son cuir chevelu. Puis je m'allonge un peu plus sur le lit et je ferme les yeux. J'entends le souffle du vieillard, je garde les yeux fermés. Ses doigts parcourent en tremblant les lignes nues de mon corps. Je frémis de joie: oui, oui, j'ai un lecteur ! 

dimanche 5 juin 2011

Postures bunker

À Fontenay aux Roses mon voisin de bunker s'appelait Antoine de B. Il a dit à sa copine Sylvie R. : "Surtout ne fréquente pas cette salope!" Elle était gentille pourtant Sylvie, même qu'elle a été reçue première à l'agreg cette année là  et qu'il l'a bien saccagée ensuite notre Antoine historifique fasciste et ses yeux translucides. Il te l'a détruite la petite nymphe, méticuleusement et systématiquement comme tout ce qu'il fait. Et la salope,on lui a octroyé un rôle quand même dans la pièce à Stéphane B. un rôle de salope évidemment , affublée d'une tenue moulante en léopard et d'un chapeau à plumes vertes. C'est là qu'elle affûta ses premières postures.
J'aime la station debout, celle où l'on raccroche. Dans la rue. Cela oblige l'homme à fléchir ses genoux pour entrer une verge verticale, je le surmonte d'une bonne tête, ce nain gigotant dans la plongée. Le vit se branle dans une chatte de pierre.
S'il me soulève, mes cuisses en grenouille l'enserrent et je me pose sur son aine. J'aime que ma tête heurte le mur au rythme des estocades.
Assise, ma chatte est en contact. Nue, collée contre la moleskine des tabourets ou des banquettes. Elle fait ventouse, se frotte, tamponne ses lèvres contre la matière, ce sont de menus sauts de chattes et de hanches et de cul. Ces torsions lilliputiennes embrasent la vulve qui s'écarte alors d'un coup. C'est un grand écart qui déploie les ailes, expose la profondeur rose au bord.
Toujours mon cul ma chatte sont rivés au bord. Au bord des tables, des baby-foot, des jukebox, au bord des lavabos, des baignoires, des lunettes, des capots, des fauteuils, des sofas, des piscines, des talus, des tombes
Dans les files d'attente, je frôle les bites emprisonnées dans les frocs. Je me baisse et j'ondoie le plus ferme possible sur la verge entravée. Lorsque je la sens durcir, je suis très fière. Je l'extirpe d'une seule main, savante et leste, je la branle dans la queue, le foutre gicle sur le tapis de caisse.
Dans les ascenseurs, les métros, tous les lieux publics, je me frotte contre leurs queues, les prend dans mon cul ma chatte ma bouche bien protégée par la foule. Au restaurant, je plonge sous les nappe, je les suce ou je les branle. Je suce aussi les chattes des épouses, je ne suis pas sexiste.
Lorsque je me baisse où que je sois, je me mets bien en équerre, le dos droit, en prenant soin de me cambrer et d'exposer au maximum.
J'ai souvent une jambe sur une chaise ou sur deux chaises écartées je plie mes cuisses tendues perpendiculairement à mes reins et j'abaisse ainsi mon con jusqu'à leurs bouches. Je m'abaisse lentement pour découvrir tout l'appareil.
Je suis souvent à genoux. Les genoux sont blessés, écorchés, pilés, par le béton, le bitume, le carrelage, brûlés par les moquettes, les palladiums, les parquets.
Je me love aussi en foetus, la moule fermée, une raie rose et je dors. Je ne vois pas qui vient me caresser, ouvrir, transpercer mon calice. Il suffit de prendre la peine de venir déplier mes ailes pour m'enfiler et me foutre.
Il y a bien sûr une infinité de postures encore et d'autres bien plus inconfortables. Mais je suis assez paresseuse et j'aime un certain confort dans l'inconfort.

lundi 30 mai 2011

Un sourire bunker


Je suis au seuil de ma vie intacte. Je vais servir de jouissance aux hommes, rien d'autre. Jusqu’à ce que le calice se referme et que je sois une forme entièrement vide, immatérielle d’avoir été défoncée de part en part, une armature aérienne, une comète gracile dans le néant. Pour l’instant, la forme n’est pas encore épurée. Un fil traverse le bunker. Un fil métallique tendu à l'extrême. Le geyser couine, écartelé  entre les murs, le carrelage des toilettes publiques. Quand il entre, il ne me regarde pas. D'un seul geste, il empoigne le con. Ses doigts trempent dans une vulve mouillée. Il dit salope.

Mais il ne me prend pas tout de suite. Il écarte chirurgicalement. Il écarte et regarde d'un œil froid ce qu'il a découvert. Puis d'un doigt il branle le clito, clapotis vif d'un qui baratterait du beurre, un souffle inhumain s'exhale de ma chaudière. Il ne me baise pas sur la bouche.(...)
Je suis restée debout, la porte ouverte, le sperme dégorgeant le long de mon entrejambe. J'ai attendu le suivant. Il a mis sa main aussitôt dans le trou tapissé du premier. Puis il m'a tirée hors du cabinet et m'a collée contre le lavabo. Il a soulevé ma jambe droite en passant son bras sous mon genou. Je suis une araignée en équilibre sur un seul talon, hanchée, je creuse mes reins en équerre, il voit sa queue entrant et je la sens limer un peu en travers. Je me suis regardée dans le miroir, j'ai vu un visage souverain, des joues lames de rasoir, un sourire bunker.

À Normale Sup, j'étais, disait-on, une élève brillante. Mais j'avais bien d'autres soucis. À Fontenay-aux-Roses, un chauffeur de taxi grimpé dans ma nuit, a infesté toute l'institution de ses morpions. Je savais déjà que ma carrière ne serait pas universitaire.

dimanche 29 mai 2011

On ne sort pas du bunker

À la sortie du bunker, vous réalisez que vous êtes vous même le bunker. Le bunker ambulant marche.
Elle marche. Le pavé sonne clair sous ses pas. Elle traverse la violence des paysages. Elle dort. Les hommes la défoncent sans qu'elle ne se réveille, le cerveau est obscur, les mots jugulés tout au fond du bunker. Elle n'est personne, elle n'est rien, juste une coque emmurée. 
Sans visage avec un sexe mort hissé dans la lumière, le sexe ou l'anus, ou l'épaule, ses reins, la chevelure ou rien, rien d'elle qu'une cascade d'objets bafoués.

vendredi 27 mai 2011

Bunkers russes

Dans le bunker il y a un autre bunker. C'est la cave. Elle est sombre et vineuse.
C'est le principe des poupée russes. On y viole encore plus tranquillement.
Dans la cave, il fait noir. Les pierres suintent une odeur humide de vinasse. La main se resserre sur son poignet. La voix est douce. Trop douce. Les mots sont chuchotés. Obscurs, incohérents. Le timbre de la voix est rauque.
L’instant suivant, il l’attire contre lui d’une main et cette main plonge dans sa culotte.
Ses ongles dérapent sur les pierres. Elle ne peut s’agripper à rien. Elle se débat pourtant de toutes ses forces. De toutes ses forces, elle mord, elle griffe.
Elle ne crie pas. Les mots sont jugulés dans le noir, piétinés au fond du bunker. Aucun son ne franchit la ligne de sa gorge.
L’épouvante muette la soulève. La folie. Elle marche plus vite le long des maisons de son enfance. Une autre voiture vient de la frôler. Elle sait que cette voiture va faire demi-tour, s’arrêter. Elle montera dans cette voiture.
Elle se débat toujours, les bras qui l’assaillent sont comme des pinces, de l’acier ; le visage de l’homme est rouge, soufflant et jurant, il sue à grosses gouttes puis il la tire violemment vers lui. Elle sent une épaisseur gluante s’engouffrer dans sa bouche. C'est sa langue.
Elle voit son visage se gonfler, enfler, il a l’air de souffrir puis il pousse un obscur juron et lâche l'enfant.
Elle court sur la chaussée. La voiture n’a pas fait demi-tour. Elle court dans la nuit et ses pas font un vacarme énorme dans le silence. Derrière elle, des phares. Elle quitte ses chaussures et court plus vite. Brusquement, elle change de trajectoire et se retrouve au milieu de la chaussée. Elle fend la nuit avec colère. Elle voit son ombre et la lumière. La lumière enfin. Elle se retourne.
Elle sort du bunker et du bunker dans le bunker. Elle sort vers la lumière, projetée vers elle comme si la lumière était la seule seule issue, le sol sous ses pas est aussi mou qu’une onde ; elle entre dans un champ. Elle se blottit dans l’herbe et la regarde.
Elle regarde longtemps. L’herbe danse doucement autour d’elle, elle ne distingue plus son cœur, seulement la salve sèche des palmes dans le vent. Elle ne pleure pas, ça et là tremblent des taches de lumière, quelque chose de doux et de triste s’épanche des ondulations des herbes et des fleurs ; elle sent les battements de son cœur reprendre lentement et le sang ; le sang circule dans sa chair comme un fleuve de lait. Elle regarde le ciel.
Le ciel est vide. Elle ferme les yeux. Son visage durcit, se ferme.
Dans la cuisine du premier bunker, sa grand-mère va et vient. vaquant doucement à ses occupations ménagères. La mère porte les tartes aux mirabelles. Le père boit son schnaps.

mercredi 25 mai 2011

Bunkerstrip

Avant d'être écrivain, j'aurais voulu être stripteaseuse. Pas ce genre de strip langoureux et gigotant qu'on peut voir contre des barres, non un strip radical, total, qui vous met nue en entier et sans fioritures, un strip mortel. J'ai toujours dansé nue sous la lune même avant qu'un homme n'ait scellé mon bunker. Et finalement il a fallu y aller dans ce bunker, dans le noir tout au fond pour héler des gros blocs mutiques et les briser, pour fragmenter les mots et les remonter de ce lointain, le désert d'un sexe nié, ignoré, abandonné à sa propre surdité hurlante. Pour se mettre nue rien de tel que l'écriture.Une cloison se déchire, les flots envahissent la coque, coulent le navire.

C'est une merveilleuse contrée que l'Alsace, avec sa ligne bleue, ses monts et ses vaux. Et que de belles maisons ! Quelle propreté ! Quel souci de l'ordre, que de rigueur et d'élégance! Chaque maison en vérité est un bijou ciselé, patiemment serti de génération en génération ! Quel faste aussi ! Il y a du pèze, du labeur ! Les paysagistes sont légion et font recette, le week-end c'est la valse des tondeuses. Chaque domaine est savamment agencé: là tel cyprès ou tamaris, des haies, des fleurs ! Que de fleurs ! Des géraniums à toutes les fenêtres, des corbeilles, des rangées de bégonias, d'hortensias, de rose trémière, le lierre couvre les façades, des guirlandes de vignes ornent les perrons. Et chaque maison possède son potager : carottes, tomates, poireaux, potirons, salades et surtout pommes de terre mûrissent sous les ciels changeants des souvenirs de guerre. J'ai marché des heures dans mon village natal, longeant patiemment toutes ces belles maisons, émerveillée par toutes ces vies de labeur consacrées à la conservation, à la restauration et à l'amélioration de ces demeures. Nains de jardins, leurres animaliers, roues ciselées suspendues aux murs, un vrai chat souvent joliment étalé sur le seuil. C'est un conte de fées. A tout moment on pourrait voir surgir les images du folklore, Hansel und Gretchen, elle, en rouge et noir avec de jolies tresses blondes, lui en knicker bocker, allez savoir, bras dessus bras dessous, souriants et roses à force de manger du cochon.

Je suis revenue vers ces maisons, inlassablement questionnée par leur beauté et leur mystère. Leur approche est plus difficile qu'on croit. A peine arrivé à leur hauteur, les jappements furieux d'un ou de plusieurs chiens de garde vous glacent le sang. Et puis il y a le silence derrière tout ça, rien ne bouge. Les volets sont clos  ou les rideaux tirés. Vous prenez conscience d'approcher d'une propriété privée. A votre coup de sonnette répond une cellule photovoltaïque d'identification et si par malheur, vous oubliez de sonner, un fusil se braquera instantanément et fera feu.

lundi 23 mai 2011

Mes patients ne rêvent plus depuis longtemps


Mes patients ne rêvent plus depuis longtemps. Dans le rétroviseur, je suis blafard. Dix heures par jour pendant dix ans. Mon regard est bleu, immobile, translucide. Je suis un mollusque. Je suis grand et gros, mon visage est blême, bouffi et soigneusement rasé. Je porte des lunettes design, mon allure a sans doute quelque chose de lent et de flegmatique qui plaît aux femmes. Mais je n’ai jamais réellement séduit de femme. Je ferme les yeux un instant. Dans cette fraction noire, la collision me frappe de plein fouet, un bolide m’emboutit. J’ouvre les yeux à nouveau, la route est vide, ensoleillée, nulle trace d’accident. Depuis longtemps, j’espérais des jours vides comme cette route, des jours sans obligation d’action. Il est le seul être dont je supporte la présence. Au volant de ma voiture, une joie intense, presque insupportable, s’empare de moi. Dans mon fauteuil de cuir noir, je suis impassible.

Les gens devraient tous se tirer une balle dans la tête...
 
J’ai jeté un œil sur les bouffissures du visage. Elle a déplié ses jambes de façon provocante, endormie. Je n’ai pas cillé. (…) Je les ai contemplés longtemps tandis que s’amplifiait la rumeur du jour, les multiples bruits d’une activité diurne et familière. Elle, la patiente et son chien. Ils formaient un tableau hors du temps, d’une immobilité bouleversante, happant le sommeil comme deux survivants à peine émergés d’une tempête.

Le chien aussi dormait profondément sous le talon de sa maîtresse recroquevillée, gisant ivre morte sur mon fauteuil thérapeutique. Il s’était étalé de tout son long sur le côté, les pattes bien droites et rangées, la tête sur le parquet, sa robe oscillant visiblement au rythme de sa respiration. Je constate avec horreur que sa maîtresse est en train d’uriner dans mon fauteuil.
Lorsqu’elle s’éveille une heure plus tard, elle se tord et se met à vomir par-dessus l’accoudoir. Et me voilà, moi, la sommité, l’éminent spécialiste, en train de laver cette ivrognesse en murmurant des paroles encourageantes. Enroulée dans mon peignoir, je l’ai couchée sur mon divan et je suis sorti.

Mes tempes me font mal, j’ai froid subitement. Je me retourne, évidemment, il ne m’a pas suivi, il est resté avec elle. Un coup d’œil dans le rétroviseur, il est là. Au début, il se couchait toujours ainsi à côté du fauteuil où se tenait sa maîtresse et il restait là, durant toute la consultation. De temps à autre, il ouvrait un œil, s’étirait ou soupirait et son immobilité avait la stupéfiante beauté d’une statue.
Au gré de nos entretiens, je me surpris à le contempler. Svelte et musclé, son corps était parfois furieusement déplié, étalé dans toute sa magnificence de fauve. Une bête altière aux pieds de sa belle. Calme et vigilante. Il semblait dormir mais son pelage tressaillait au moindre bruit.
Je distinguais le rythme de son amour et l’affolement parfois de son cœur. Pendant qu’elle parlait, il rêvait. Son imaginaire est tout entier nourri de courses sauvages, de prédations et d’esquives. Ses pattes tricotaient dans le vide et j’accompagnais en silence ses traques de savane. J’avais recommencé à rêver.

Elle est en face de moi, elle vient de décroiser les jambes dans son fauteuil et agite pathologiquement sa mule ; je fixe le talon aiguille qui bat douloureusement dans le vide. Je jette vers elle un lent regard oblique et froid. Ma décision est prise. Elle ne m’a pas reconnu lorsqu’elle est montée dans la voiture. Le chien, oui. Il s’est mis à agiter la queue. Elle a tout fait comme d’habitude. Et cette fois, elle a bien franchi la ligne.
La nuit était noire.

Qu’est ce qu’un chagrin ? J’ai passé la cinquième, la route est droite, vide, ensoleillée.