Sélection du message

Der Schnee.

Du vent. De la neige. Putain. Rien d'humain. Tu écris quoi ? Depuis des mois, tu n'en sais rien. Tu as rencontré son visage. Son si...

vendredi 14 août 2015

ETE 15



Libération ne m'a pas demandée d'écrire pour eux. Cette chronique d'été. On ne demande rien à un écrivain comme moi. 
D'ailleurs, je n'aime pas l'actualité. Les actualités. Cette voix à la télé qui se veut joyeuse, madame et monsieur bonjour ! Et ce journal télévisé qui n'est qu'un tissu publicitaire et chauvin vantant les mérites d'une France du terroir, régions, traditions,spécialités, nos têtes blondes, oui mamie t'as vu ce qui passe à la télé??? Je veux le feuilleton à la place! Elle n'informe pas, elle n'est que le miroir d'une France qui se rassure et qui veut retourner dans le ventre maternel et nationaliste d'une pouf blonde et chrétienne, le tout sur le ton faussement enjoué de l'optimisme malgré tout. Il y a trop de migrants. Trop. Le problème ce sont les généralités: les migrants, les émigrés, les arabes, les juifs, les terroristes. La généralité tue l'individu. (Tu me regardes et tes yeux d'esclave sont shootés par le taf, ton corps reste immobile car le moindre mouvement réveille les douleurs, c'est le corps de fer des esclaves antiques. Tu es le héros des temps modernes, mon amour. En pleine canicule, tu es debout sur les chantiers, debout sur les échelles et je reste loin de toi, bien à l'abri dans mon appartement bourgeois, la clim tournant à plein régime. Es tu un migrant ? Oui ? Un clandestin ? Oui. Un sans papiers? Certainement, mon amour.)
Depuis Eté 80 de Marguerite Duras c'est à dire depuis trente cinq ans on pourrait montrer que le monde a changé, qu'une barbarie nouvelle, jamais égalée dans l'horreur sévit partout dans un monde qui se délite au rythme de ses flux mondialisés...mais non, curieusement certaines lignes restent furieusement d'actualité, comme si rien ne changeait jamais. C'est la même barbarie, elle a toujours existé. C'est un  même effort qu'on demandait aux français en 1980, « cet effort en vue d'une année difficile qui vient, de mauvais semestres, de jours maigres et tristes de chômage accru » dans la bouche d'un menteur, un monsieur qu'elle n'ose pas nommer et qui est son ami, Mr François Mitterrand. D'autres menteurs ont défilé et le scénario se répète inlassablement malgré les promesses d'infléchissement voire de rétroversion de la courbe du chômage et chaque année on dit que la crise est là et aussi qu'on en sortira. Près de quatre décennies de ce même discours en déprimerait plus d'un et les français ont atteint et dépassé tous les seuils de dépression. Plein de haine et sans espoir. Les français n'en peuvent plus. Heureusement cette année, il y a la Grèce.

Tires-toi ma belle ! Tires toi tout de suite, ma belle. Plonges la tête dans les draps du Best Western en Avignon où a commencé depuis hier le 50e festival de théâtre et qui va battre son plein malgré la crise et les conditions de vie déplorables des intermittents du spectacle. Et là aussi on veut vous distribuer du rire à pleines brassées d'affiches de programmes et de flyers-une débauche de papier malgré les vœux de festival écolo, écolo mon cul, tout comme le président pollue et qu'on accueille la nième inutile Conférence sur le Climat. Le festival c'est aussi tout ce gaspillage, une pollution visuelle et sonore, une aventure harassante pour ceux du off qui alpaguent quelques touristes en ciblant le gris, il faut viser les argentés, ceux qui ont de quoi payer. Car en 2O15, la denrée la plus rare aussi, c'est l'argent. Et c'est la Curée.

Elle découvre l'eurythmie et ses vertus de zénitude, quête spirituelle d'un occident malade et elle prend le bus, s'éloigne du centre, hors des murs qui enferment la cul, culture de la décadence. Car autour du centre ville, il y a les faubourgs et de la nuit émergent des spectres en djellabas. Ils quittent les maisons, babouches et barbes hirsutes, et viennent s'attabler, manger et faire du bruit. Car Juin 2015 est le mois du ramadan. Est-ce vraiment cela ? Pourquoi sont-ils confinés aux faubourgs, à ces quartiers tristes et mal éclairés, coupés de cette vie culturelle trépidante et démocratique, le festival qui bat son plein à quelques mètres, cerné de murs qui isolent la culture dans une tour d'ivoire dont certains restent bannis et qui les laisse indifférents. Sont-ils exclus ou se tiennent-ils volontairement à l'écart de ses fêtes impies, orgies mécréantes et gorgées d'alcool, de sexe, de nudité sale, beurk, ça les dégoûte, ils en crachent par terre. Elles ne sont que deux dans ce bus de lumière climatisé, deux femmes qui ont trahi et qui regardent la nuit et ses fantômes. Ce sont essentiellement des hommes, les hommes qui sont dehors, il y a peu de femmes et celles qui s'aventurent à l'extérieur sont voilées complètement-et elles regardent ça, cette énigme pour elles qui ont tant milité pour le port du pantalon, elle qui portent les cheveux courts, elles fixent de leurs yeux scandalisés le spectacle désolant de ces momies noires, ces linceuls où grossissent les femmes enfermées et même qu'elles touchent les parties des hommes dans le bus, bien protégées, mais ça il faut pas le dire. Est ce vraiment cela Farida ? Car Farida est une des deux femmes confortablement installées dans le bus, Farida est musulmane et sans religion. Comment regarder ces frères et ces sœurs qui sortent dans la nuit pour rompre le jeûne ensemble, boire et manger ce que les femmes ont préparé toute la journée. sans ressentir une violente émotion, une entaille qui cisaille le ventre et qui lui donne envie de vomir le fastueux repas gastronomique qu'elle vient d'offrir à son amie. Et jusqu'au petit déjeuner de l'hôtel Best-Western, un brunch qui n'a rien de petit, avec viennoiseries, œufs à la coque, charcuterie, graines et fruits, céréales, fromages et journaux. Car toi Farida, toi, tu es riche et seule. Tu as grandi à Mulhouse et quand tu entendais parler des arabes, tu ignorais que ce fut toi. Tes parents ne te parlaient pas vraiment, il était dur et brutal, elle se contentait de te nourrir et ne pensait qu'à ça : nourrir sa progéniture. Un truc au moins qu'elle partage avec la mère alsacienne.(italienne itou, russe, polonaise bref toutes les mater dolorosas de l'univers) L'obsession de la bouffe. Je te vois Farida, tu es ce moineau aux pattes mortes, petites pattes dures qui t'isolent du courant électrique mortel, tu regardes au loin et tu veux réussir. Tes plumes sont ternes et au dessous, il y a le sang coagulé, ta blessure entièrement cicatrisée. Personne ne t'a expliqué comment survivre. Et tu t'envoles, tu vas chercher l'argent, tu deviens chef d'entreprise. Aujourd'hui tu as beaucoup d'argent, des quantités d'argent, tu as cet argent dont tout le monde rêve. Tu as le pouvoir. Et cet argent t'isole encore un peu plus, loin des tiens, loin des autres. C'est ta liberté qui t'enferme et qui fait monter en toi ce cri impossible. Quel cri ? Quel cri Farida quand tu es autoritaire, quand tu coupes court à la conversation, aux effusions et que tu quittes les gens si brusquement, quel cri une fois la porte de ta chambre d'hôtel refermée, quel hurlement, inaudible de sauvagerie, quel hurlement de bête blessée pour échapper aux regards hypocrites et inquisiteurs de ta famille musulmane, ton mari, tes enfants, toute l'Algérie. Tu te mutiles sans douleur et mon désarroi voudrait te prendre dans mes bras car je sais que ta carapace s'effondrerait d'un coup dans un grand flop de poussière. Tu es blême et tu vas mourir. C'est le mois du Ramadan.On en parle pas dans l'actu. On fait comme si ça n'existait pas. On ignore la propagation du virus, de plus en plus de jeunes qui le font ou prétendent le faire. Au supermarché, l'adolescent est arrêté par le vigile, il a planqué tous les kinder bueno sous son tee-shirt, il lève les bras, impudent ; j'ai rien volé, c'est ramadan , dit-il.

C'est la canicule. Le gouvernement cette fois a anticipé, déclenché le plan, appelé les personnes âgées individuellement. Les infos ne parlent que de ça. Bourrés de conseils pratiques : comment s'hydrater, les vieux, les bébés, éviter l'exercice physique, acheter des brumisateurs, ventilateurs, squatter un endroit frais au moins une heure par jour etc etc...Canicule et ramadan, cher Prophète, as tu jamais pensé au réchauffement climatique ? Il est interdit de manger, passe encore, mais boire, comment ne pas boire par quarante degrés à l'ombre sans mettre en péril sa santé ? La chaleur accable et dévisse les cerveaux, elle rend les gens irascibles, à bout de nerfs, il y en a qui pète les plombs. Ce type à La Ciotat le 13 Juillet (où l'on tire le feu d'artifice la veille du 14) qui va chercher sa batte pour   te défoncer la gueule, dit-il, parce que tu as osé te garer devant son portail. Tu t'excuses, tu dis excusez moi monsieur, mais vous voyez bien le monde qui est venu pour voir le feu d'artifice qui commémore notre révolution. Quelle révolution??!! hurle-t-il, tu te fous de ma gueule, pétasse, de quelle révolution tu me parles ? Tu dégages ta bagnole de là et fissa ! C'est une propriété privée ! Et puis le boucan du feu d'artifice, les pétards stupides, les chiens qui ont peur.

Elle avait écrit qu'il faut un jour entier pour s'abreuver d'un fait d'actualité, qu'il faut un jour pour l'oublier, un jour encore pour effacer ce qui avait été écrit et puis, enfin, écrire. C'est ça le deal, l'inconciliable dynamique de l'écriture et de l'actualité. Car l'écrit qui colle au fait n'en est pas vraiment car il n'y a pas la distance nécessaire à l'écrit. Une actu est une plaie à vif, instantanée et sanglante. On aimerait rester collés, subjugués par son spectacle, son hystérie et sa démesure. On aimerait chevaucher à cru sa réalité flamboyante, son inédit inédit, passer en boucle ses images (comme celles jadis déjà du 11 Septembre) garder scoop le scoop alors que sa loi est éphémère et ainsi, on court d'actu en actu sans recul aucun et donc sans possibilité de rien comprendre. L'actu est alors frustration perpétuelle. On voudrait cet œil fixe, écarquillé, indéfiniment ouvert sur l'obscène, sa crudité d'oeuf cru et qui vient juste de se briser, on veut se shooter à la répétition de son instant qui devient une hallucination tandis qu'on titube déjà dans les décombres et les destructions.

On voudrait garder l'oeil ouvert, or, pour écrire, il faut d'abord fermer les yeux. Ne plus rien voir et inventer. M.D était à Trouville, elle regarde l'enfant et sa monitrice de colonie de vacances, elle invente leur histoire. Je suis à Marseille, il n'y a pas de colonie de vacances pour les petits marseillais. Nous partons en direction de le Ciotat, un peu plus loin il y a la Corniche du Liouquet, une petite baie paradisiaque et bleue, des pins accrochés de guingois sur la falaise, je regarde ton corps nu et mince, un peu flétri qui s'avance vers la mer. La maladie te rend funambule car tu évites de poser l'aplat de ton pied à cause des articulations qui font mal. Alors tu as ce pas aérien et un peu claudicant, petite Chaplin un peu fluette et drôle, la douceur, ta douceur sur le fil. Tu nages un peu maladroitement, toujours sur le dos, tu as vite froid malgré la chaleur. On dit c'est l'été. Ça y est, ça sent l'été. Cette saveur sèche qui craquerait presque dans l'air, la senteur un peu acidulée, de thym, de menthe et de figue. Ou alors ce frémissement argenté des oliviers. Non ? Ce n'est pas ça non plus. Et pourtant c'est l'été. Sa chaleur, sa langueur, cette envie de mourir aussi et ta beauté lorsque tu es couchée, frêle dans le paysage, parfaite et sans douleur. C'est une parenthèse, l'été. Une parenthèse de liberté. Un temps d'arrêt, de vacance. Ne plus travailler. Être nue, la peau mouillée qui sèche dans le vent, la saveur du sel, les yeux fermés sous le soleil.

Les yeux fermés, je vois l'homme et la femme de la maison abandonnée. Cette histoire que je veux écrire et que je n'écris pas. Peut-être après tout devrais -je raconter l'histoire d'une femme et d'une femme. Et aussi des générations de femmes qui ont modelé cette maison, peut-être une autre maison, plus ancienne. Car la maison abandonnée n'est pas une maison ancienne, c'est même un bunker assez moderne, une maison édifiée par un couple qui avait choisi cet endroit sauvage pour inventer un lieu digne de leur amour. Leur nid d'amour. Isolée au bout du chemin, la maison jouxte la forêt immense et offre une vue saisissante sur un étang aussi grand qu'un lac mais ils avaient aussi conçu et aménagé leur territoire à l'aide d'un paysagiste. Ils avaient repoussé la forêt sauvage, domestiqué les sols, planifié leur paradis de verdure en dessinant les emplacements, la géométrie et la forme des bosquets et des végétaux. Elle surtout avait minutieusement placé les signes afin de créer un paysage digne de leur union, un paysage qui exprime cet amour avec la volonté d'en offrir au visiteur le miroir.
En même temps que ce nid d'amour, ils érigeaient un mausolée. Comme tous ceux qui croient à cette aventure, leur lucidité ne les avait pas préservés des dangers qui guettent toute volonté d'enfermer l'amour. Sa lente agonie entre les murs et même dans ce magnifique jardin sauvage, son euthanasie, son asphyxie reflétée dans le miroir figé du paysage. Ils étaient comme tous ces couples embarqués dans les crédits immobiliers, leurrés par la fable, tous ces couples qui achètent des maisons, ne parviennent plus à les payer, les transforment en prisons et en champs de bataille des héritages. Il existe aujourd'hui des centaines, des milliers de maisons abandonnées, vendues un euro pièce et dont personne ne veut. Roubaix tente l'aventure, envoie une délégation copier le modèle de Liverpool.

Mais n'anticipons pas . La maison est immobile, seule dans son obscure splendeur de lieu déserté. Triste et vide à en mourir. Comme l'été certains soirs, quand il n'y a plus le moindre souffle. Le soir suspend son vol, l'été frivole se fige et découvre sa solitude accablée. C'est la fin. La fin déjà de l'été.

L'été 2015 est cet air languissant et sec et c'est le bruit des cigales. Leur chant est lancinant et strident, il ponctue les terribles coups portés par la chaleur. C'est le souffle d'un four et ses vagues chatoyantes qui brouillent les lignes du paysage. Des vapeurs hallucinées qui rappellent les lignes de la drogue. C'est l'été, à la fois intemporel dans son retour accablant, retour de chaleur, de corps nus sur les draps, de moustiques et d'insomnies épuisantes. Et puis c'est l'éphémère d'une saison, le temps d'une parenthèse, d'un amour entre parenthèses, un flirt dont la naissance et la frivolité contiennent déjà la fin et la mélancolie de sa disparition.

En vrac, une adolescente kamikaze a explosé en plein marché. Boko Haram envoient les enfants à la mort et Paris est une ville sale, très sale, classée vingt quatrième au rang mondial des villes propres. A Cannes, un roi saoudien a acheté une plage et tous les commerçants se frottent les mains et multiplient les courbettes pour accueillir cette clientèle haut de gamme. La femme voilée dit « je vais faire les magasins, je vais m'amuser » et la ville recrute une centaine de chauffeurs supplémentaires pour promener ce scandale, nul ne s'offusque ni ne condamne, une jeune chômeuse française écarte le racisme ordinaire à l'égard du manque de mixité musulman et postule avec espoir car les saoudiennes doivent être conduites par une femme. Le fleuriste exulte et prépare des milliers de fleurs pour ce « conte des mille et une nuits » saoudien. La journaliste ne formule aucune perspective critique à la privatisation de cette plage. Le fric des assassins ne gêne pas la France.

Et soudain, le 25 Juillet 2015, le ciel s'est embrasé d'éclairs et la température a chuté de vingt degrés. Erdogan massacre les kurdes et personne ne dit rien, ou presque.