Sélection du message

Der Schnee.

Du vent. De la neige. Putain. Rien d'humain. Tu écris quoi ? Depuis des mois, tu n'en sais rien. Tu as rencontré son visage. Son si...

dimanche 20 janvier 2019

GRAND VOYAGE

En songeant aux douze kilomètres à parcourir, j'avais le coeur lourd, une sorte d'appréhension. Quelle idée que ce Grand Voyage!
Nous étions là, ça lambinait quelque peu. La mer était plate et vide. Endormie, elle sentait mauvais. Devant sa partition, une femme nous a fait goûter le paysage. Il faisait chaud. Bien trop chaud pour un mois de Novembre. Une armée de moustiques, furtifs et voraces,  fonçait sur nous plus vite que les avions de la Wehrmacht un jour de Blitzkrieg. J'épongeais ma sueur. 
On se met quand même à marcher. On marche. A petite allure d'abord et puis on a pressé le pas. Seul un train a bougé à notre droite. Il a passé comme dans un rêve. On a longé la voie ferrée et puis on a traversé des périphéries urbaines sous le regard indifférent de quelques dealers. Après,  nous étions comme des coureurs en compétition et cela me rendait silencieuse. Je me concentrais sur chaque pas. La foulée déjà réveillait une douleur  dans un muscle de ma cuisse droite. Je marche. Rien que ça. C'est ce que nous étions venus faire. Marcher, suivre le chemin, renouer avec les pèlerins partis reconquérir la Terre Sainte tombée aux mains des Infidèles.

Pourtant ce temps trop beau avait déjà épuisé le groupe, on aurait dit que la lumière avait balayé l'espoir. Je marche, je veille à respirer à intervalles réguliers, des inspirations de qui veut survivre et cheminer longtemps. Peu à peu, mes pensées s'allègent. Je marche en fixant mes pieds. J'ai cessé de sourire.  Mon visage, débarrassé de ses vanités et de ses rôles enjoués, est devenu grave.
Marcher c'est briser sa coquille, jeter le masque, piétiner son chagrin. Les douleurs sont de plus en plus vives, des crampes cuisantes pointent leur nez et je poursuis avec acharnement cette course folle dans un paysage que je n'ai pas le temps d'apprivoiser. 
Je ne suis plus un fauve en cage, je suis libre d'aller et mes passions s'égrainent tout au long du chemin.  Je me dépouille. Je suis nue et je flotte. Je ne sens plus rien, ni mon corps, ni ma vie, ni mon âme.
Le poids de l'existence qui étouffait mes pensées m'a quittée, comme si j'avais pleuré durant des heures. Je serais tentée d'ailleurs de verser quelques vraies larmes si je ne craignais la présence des autres, les étudiants, les professeurs, mes collègues. 
 -Expie! Expie! criait une voix dans ma tête. Je vieillissais aussi à vue d'oeil et je marchais à nouveau comme dans mon enfance: à petits pas je marchais, puis je tombais ; je me relevais et marchais à nouveau en vacillant.
L'extase m'atteignit de plein fouet. Je ralentis là où s'étalait la splendeur des couleurs, un rouge, un bleu-vert d'une insondable profondeur, un blanc délicat, un bleu. Je découvre un monde étrange. Nous étions dans un pays très reculé, un territoire sans âme et sans pittoresque, presque industriel et pourtant il y a la ligne fraîche de la mer. Quelque chose brillait à l'horizon, un miroir noir et très ancien qui reflétait  la mort. Le chant d'un oiseau rendit le paysage plus silencieux encore. Je suis émue, bouleversée jusqu'aux tréfonds de mon être que la marche a débarrassé de toutes ses scories.
Je n'ai pas terminé le Grand Voyage. Mais quand même, j'ai volé. J'ai flotté dans un ciel délavé sans rien en moi qui pesât encore, ivre, translucide et purifiée.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire