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Der Schnee.

Du vent. De la neige. Putain. Rien d'humain. Tu écris quoi ? Depuis des mois, tu n'en sais rien. Tu as rencontré son visage. Son si...

lundi 23 mai 2011

Mes patients ne rêvent plus depuis longtemps


Mes patients ne rêvent plus depuis longtemps. Dans le rétroviseur, je suis blafard. Dix heures par jour pendant dix ans. Mon regard est bleu, immobile, translucide. Je suis un mollusque. Je suis grand et gros, mon visage est blême, bouffi et soigneusement rasé. Je porte des lunettes design, mon allure a sans doute quelque chose de lent et de flegmatique qui plaît aux femmes. Mais je n’ai jamais réellement séduit de femme. Je ferme les yeux un instant. Dans cette fraction noire, la collision me frappe de plein fouet, un bolide m’emboutit. J’ouvre les yeux à nouveau, la route est vide, ensoleillée, nulle trace d’accident. Depuis longtemps, j’espérais des jours vides comme cette route, des jours sans obligation d’action. Il est le seul être dont je supporte la présence. Au volant de ma voiture, une joie intense, presque insupportable, s’empare de moi. Dans mon fauteuil de cuir noir, je suis impassible.

Les gens devraient tous se tirer une balle dans la tête...
 
J’ai jeté un œil sur les bouffissures du visage. Elle a déplié ses jambes de façon provocante, endormie. Je n’ai pas cillé. (…) Je les ai contemplés longtemps tandis que s’amplifiait la rumeur du jour, les multiples bruits d’une activité diurne et familière. Elle, la patiente et son chien. Ils formaient un tableau hors du temps, d’une immobilité bouleversante, happant le sommeil comme deux survivants à peine émergés d’une tempête.

Le chien aussi dormait profondément sous le talon de sa maîtresse recroquevillée, gisant ivre morte sur mon fauteuil thérapeutique. Il s’était étalé de tout son long sur le côté, les pattes bien droites et rangées, la tête sur le parquet, sa robe oscillant visiblement au rythme de sa respiration. Je constate avec horreur que sa maîtresse est en train d’uriner dans mon fauteuil.
Lorsqu’elle s’éveille une heure plus tard, elle se tord et se met à vomir par-dessus l’accoudoir. Et me voilà, moi, la sommité, l’éminent spécialiste, en train de laver cette ivrognesse en murmurant des paroles encourageantes. Enroulée dans mon peignoir, je l’ai couchée sur mon divan et je suis sorti.

Mes tempes me font mal, j’ai froid subitement. Je me retourne, évidemment, il ne m’a pas suivi, il est resté avec elle. Un coup d’œil dans le rétroviseur, il est là. Au début, il se couchait toujours ainsi à côté du fauteuil où se tenait sa maîtresse et il restait là, durant toute la consultation. De temps à autre, il ouvrait un œil, s’étirait ou soupirait et son immobilité avait la stupéfiante beauté d’une statue.
Au gré de nos entretiens, je me surpris à le contempler. Svelte et musclé, son corps était parfois furieusement déplié, étalé dans toute sa magnificence de fauve. Une bête altière aux pieds de sa belle. Calme et vigilante. Il semblait dormir mais son pelage tressaillait au moindre bruit.
Je distinguais le rythme de son amour et l’affolement parfois de son cœur. Pendant qu’elle parlait, il rêvait. Son imaginaire est tout entier nourri de courses sauvages, de prédations et d’esquives. Ses pattes tricotaient dans le vide et j’accompagnais en silence ses traques de savane. J’avais recommencé à rêver.

Elle est en face de moi, elle vient de décroiser les jambes dans son fauteuil et agite pathologiquement sa mule ; je fixe le talon aiguille qui bat douloureusement dans le vide. Je jette vers elle un lent regard oblique et froid. Ma décision est prise. Elle ne m’a pas reconnu lorsqu’elle est montée dans la voiture. Le chien, oui. Il s’est mis à agiter la queue. Elle a tout fait comme d’habitude. Et cette fois, elle a bien franchi la ligne.
La nuit était noire.

Qu’est ce qu’un chagrin ? J’ai passé la cinquième, la route est droite, vide, ensoleillée.

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