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Der Schnee.

Du vent. De la neige. Putain. Rien d'humain. Tu écris quoi ? Depuis des mois, tu n'en sais rien. Tu as rencontré son visage. Son si...

jeudi 27 octobre 2011

Le square.

Je réussis malgré tout à faire quelques excursions au square.
Le square est un microcosme préservé. Il y a là tout un monde en miniature. Il y a toutes les veuves, les esseulées. Les maîtres et leurs chiens. Les amoureux, les essaims d'ados, les mères, les pères, les enfants, les malades mentaux, les sans domicile fixe, les apparentés, étrangers, érémistes, commerçants, boxeurs, retraités. Chacun son heure, ses rituels, ses espaces. 
Sur les bancs se tiennent un peu raides les femmes tristes, seules et tristes. Elles conversent doucement dans la lumière du soir qui vient irriguer d'ocre les pelouses et les pierres.
Le mercredi, il y en a beaucoup, d'enfants, dans ce square. Ils ont leur enclos avec un toboggan tagué, un toboggan rouge et jaune, des balançoires, pas de tourniquet, c'est trop dangereux un tourniquet de nos jours, il y a quelques montures à ressorts et autour les bancs où sont vissées les fesses des mamans qui papotent, se lèvent rarement ou alors seulement pour crier, interdire, séparer. C'est l'espace réservé à leurs ébats, aux enfants, qui hurlent et qui tournent, se tapent sur la tête, un espace clos par des barreaux, c'est plus pratique pour les mamans. Il y a un autre espace, tout en collines artificielles, les grands font du vélo ou du foot, du skate et aussi du patin.
Au square c'est bien, on trouve l'occasion de parler, ça ne coûte rien et on est dehors, sous les arbres. C'est plein d'étourneaux en automne et plein d'autres oiseaux le reste du temps, au square, en plein coeur de la ville assourdissante. Les frondaisons sont chahutées par le mistral, au printemps elles bruissent et libèrent des odeurs fleuries, en été, elles forment un havre de fraîcheur, traversées parfois en pleine canicule par un souffle inespéré.
J'ai donc fait connaissance avec les gens du square, ils sont devenus mes amis. Il y a Eliane, une grande et pâle quinquagénaire aux cheveux secs, elle porte des jupes et des robes d'un autre temps, elle est séparée mais non divorcée et son coeur est rongé par une rancoeur trouble et familiale. Il y a Caroline, qui a travaillé quarante deux ans à la poste, qui a consacré toute sa vie à son travail et aux hommes et qui se retrouve seule comme une pierre devant le poste TV qu'elle déteste, elle se force à regarder n'importe quel programme parce qu'elle ne peut plus lire, elle vide avec lenteur un verre de whisky et à chaque gorgée, ça bouillonne et ça crapahute, ça hurle dans son corps transi, elle dit si j'avais pas "Cochi" (le nom d'un horrible chien chinois qui l'a mordu hier parce qu'elle voulait l'empêcher de bouffer de la viande dans le cabas de sa voisine...) je ne sortirai plus du tout et surtout plus personne ne m'adresserait jamais jamais la parole. Il y a Huguette aussi, Huguette qui a perdu son mari et qui a pris un caniche  torturé dans une animalerie elle l'a appelé voyou mais voyou il est rescapé d'une cage et ne sait pas bouger alors il reste immobile dans sa cage invisible à côté d'Huguette sur le banc Huguette encore cagole Huguette pleine de strass et coquette encore Huguette Il y en a plein d'autres des amis sauf qu'en somme ils ne me racontaient rien mes amis, surtout rien d'important, drapés dans leur dignité. Alors j'ai fait une découverte déconcertante.
Un jour comme ça, je suis arrivée et j'ai parlé de mon bunker, j'ai dit comme ça sans détours qu'on me saisissait mon appartement, j'ai dit mon divorce et mon alcool, et mes gosses qui tournent mal et tout et tout...et là grand changement! tous les figurants du square ont jeté leurs masques et vrououmm! dans un grand soulagement et vrombissement ils ont déballé tous leurs vrais déboires à eux aussi, leurs frustrations, salissures, spoliations, cochonneries, désastres et j'en passe! Je compris que tous mes amis m'avaient trompée et qu'ils avaient passé leur temps, conjugué tous leurs efforts pour tout me cacher, pour piétiner leur linge sale tout au fond de leur bunker à eux, et que et que! cette contention était d'une telle violence qu'une fois le bouchon décapité, la cocotte explosait littéralement, libérant dans un vacarme de vapeur sifflante la somme des malheurs qu'ils s'étaient tant efforcés de celer, d'oublier, de juguler au fond du cul de sac en prenant bien soin de retirer l'échelle. Ce fut triste et pas très beau mais sur le coup, je les ai crus contents d'avoir pu me déballer tout ça.
Mais j'ai perdu mes seuls amis. Maintenant ils prennent la peine de m'éviter, tout honteux de leur sale confidence. Ils me regardent, me jettent des regards hostiles et courroucés comme si je les avais sali et qu'il fallait se garder de mes éclaboussures.
Alors je regarde les enfants dans leur parc. Les grands font du vélo, les petits jouent au sable et déambulent, un peu désorientés dans leur bunker, criant et riant à la fois. Leurs mères parfois, en de soudaines effractions, les secouent ou les frappent, les insultent pour les dresser, les préserver des salissures.

1 commentaire:

  1. Situation ressentie mainte et mainte fois.
    Le roi est nu...
    Le dire et le redire comme une poésie, sous la peau :la chair et ses émotions fluctuantes.
    :-)

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